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les consonnes en question. Cependant je ne vois pas du tout que ce phénomène ait aucun rapport avec une contraction musculaire quelle qu'elle soit. Car (1o) la langue et la mâchoire ont leurs mouvements entièrement libres, et (2o), quelques minutes après, par le repos ou à l'occasion d'un autre mot, ou en chantant, je peux prononcer facilement la même consonne, ce qui ne serait pas le cas s'il y avait contracture musculaire. C'est pourquoi je peux considérer les résistances, que je ressens fortement, par introspection, lorsque je parle, sous forme d'inhibitions, comme d'origine cérébrale (centrale) et non comme les conséquences de contractures musculaires1.

Forel interprète ses propres troubles comme relevant d'une inhibition de l'ecphorie des engrammes. Nous pensons que cette interprétation est exacte mais trop générale, le langage objectif de Semon manquant de précision.

A première vue, il semblerait qu'il s'agisse ici d'un phénomène analogue à l'exemple que nous avons emprunté à l'auto-observation du Dr Saloz, où le processus parcouru pour arriver à la prononciation correcte du mot' marasquin' semble calqué sur un processus mnémonique; mais l'hypothèse simple de l'oubli ne peut, de l'aveu même de Forel, s'appliquer à son cas, puisque, comme le remarque aussi le Dr Saloz (remarque banale d'ailleurs) le même mot ou les mêmes consonnes qui ne peuvent être retrouvés à un moment donné le sont, quelques instants après, soit par le moyen du chant, du rythme ou tout simplement du repos.

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Il nous semble qu'ici il s'agit d'une atteinte de ce que A. Pick appelle les éléments musicaux' du langage. Nous croyons qu'il serait d'un grand intérêt philosophique, comme nous le verrons, de nous demander si ces éléments musicaux' ne constitueraient pas une partie seulement d'une fonction cérébrale plus générale ou plutôt plus étendue. Suivant toujours d'aussi près que possible les faits cliniques, voici les phénomènes qui nous ont amené à nous poser cette question. Forel remarque, dans son auto-observation que ses facultés de travail n'ont pas baissé sensiblement, une volonté inébranlable de lutter contre les conséquences de son apoplexie ayant atteint chez lui son plein épanouissement. Remarquons que M. Forel est biologiste; cela a son importance. C'est par une remarque exactement semblable que débutent les Mémoires du Dr Saloz, qui, ainsi qu'on a pu s'en apercevoir par les passages que nous en avons cités, témoignent d'une certaine pénétration. Or Forel, qui, au cours de son affection a pu découvrir une espèce nouvelle de fourmis, fait sur lequel nous attirons tout particulièrement l'attention, était devenu

1 A. Forel, “Subjektive und induktive Selbstbeobachtung über psychische und nervöse Tätigkeit nach Hirnthrombose (oder Apoplexie)," Journ. f. Psychol. u. Neurol., Bd. 21, 1915, p. 434.

incapable d'exécuter la plus simple opération d'arithmétique. C'est le trouble intellectuel qu'il met au premier plan de ses préoccupations:

Avant tout, le calcul et surtout le simple fait d'additionner m'était particulièrement pénible. Je n'ai jamais été un calculateur virtuose, parce que des pensées intercurrentes avaient pour effet de me distraire; mais maintenant la chose devenait tout à fait grave. Je confondais fréquemment les chiffres à retenir avec ceux à écrire ou je confondais les colonnes à additionner et autres absurdités pareilles. Je remarquais toujours la chose aussitôt, mais j'avais la plus grande peme à ne pas faire toujours des fautes de ce genre. Je faisais des omissions particulièrement nombreuses en comptant, ce qui me causait beaucoup d'ennuis...1.

Forel remarque, en outre, qu'il omettait des lettres en écrivant, ne pouvait dire s'il avait tourné ou non le bouton de l'électricité, siia.porte

était ouverte ou fermée.

Parti des troubles classiquement dénommés aphasiques, nous périsons qu'il est temps actuellement de montrer que les phénomènes cités en. dernier lieu ne paraissent pas d'une nature essentiellement hétérogène. D'une part, en effet, on peut très bien admettre que les troubles du calcul ne sont que l'expression d'une atteinte du langage intérieur, celui-ci se manifestant par des mouvements naissants d'articulation. Le calculateur prodige Inaudi était incapable de calculer, quand on empêchait les mouvements de la langue. D'autre part, d'une façon plus générale, et, sans qu'il y ait contradiction avec ce point de vue, il nous semble que les phénomènes aphasiques (et par là nous entendons les deux formes distinguées, dès 1868, par Hughlings Jackson, et appelées plus tard aphasie motrice et aphasie sensorielle) relèvent d'un trouble fondamental qu'on pourrait appeler la perte (plus ou moins complète, plus ou moins élective, nous reviendrons là-dessus) de la fonction de découpage et d'opposition de l'intelligence. Particulièrement suggestives à cet égard nous paraissent les recherches récentes de Van Woerkom, entreprises d'ailleurs dans un but et avec des conclusions tout à fait différentes des nôtres2.

Il s'agit d'un cas d'aphasie type Broca en voie de régression, chez lequel le neurologiste hollandais a mis en lumière une perturbation de l'orientation spatiale (en l'absence, bien entendu, de toute lésion de l'appareil vestibulaire) et de ce qu'il appelle la notion du temps et du nombre des plus curieuses. Voici quelques passages de cette observation. Elle avait attiré notre attention avant que nous ayons eu connaissance

1 Loc. cit. p. 429.

2 Van Woerkom, "Sur la motion de l'espace (le sens géométrique). Sur la notion du temps et du nombre. Une démonstration de l'influence du trouble de l'acte psychique de l'évocation sur la vie intellectuelle." (Revue neurologique, 1919, No. 2.)

du mémoire de M. Head, où sont rapportés certains faits du même genre. Voici donc ce que dit M. Van Woerkom:

A ma demande, le malade me montre la main droite, mais il est embarrassé quand je le prie de me donner la main gauche. Invité à porter la main droite vers le côté gauche ou le côté droit, i se trompe continuellement. Assis à côté de lui, je mets entre nous deux une règle et je l'invite à placer une pièce de monnaie soit de mon côté, soit du côté de la règle: même après démonstration, la notion des deux côtés lui reste vague....Il ne sait pas s'il va en haut ou en bas quand il descend l'escalier. Ce même trouble est constaté pour la direction sagittale....Invité à mettre une règle à quelque distance, mais de la même manière qu'une autre règle, qui est mise devant lui, il fait des efforts multiples, mais paraît incapable de trouver la direction parallèle; en outre, le malade rapproche, malgré mes protestations, sa règle de la mienne, de sorte que bientôt les deux règles sont superposées....Je présente à mon malade trois sortes de papiers, les uns en forme de carré, les autres en forme de cœur, les autres ronds; il est incapable de les mettre deux à deux malgré la reconnaissance des formes....Je place devant lui un grand carton et je l'invite à mettre trois allumettes de telle sorte qu'elles soient aussi distantes que possible. Il avance une pièce vers le bord supérieur, mais au lieu d'avancer une autre dans la direction opposée, il la fait suivre la première.

Il faut remarquer que, dans la vie quotidienne, ce trouble ne se manifeste que pour un spectateur attentif. De même, au point de vue de la notion du temps, voici ce que M. Van Woerkom a remarqué:

En battant un iambe ou un trochée (succession inverse), le malade ne peut pas se rendre compte de la différence de succession. Par contre, il a conservé le rythme de la marche, qu'il battait comme soldat. Malgré le fait que le malade nomme les jours de la semaine et les mois de l'année sans se tromper dans la succession, il ne sait pas nommer le jour ou le mois précédant ou succédant, quand il vient de lire la date. Quand on lui demande s'il fait jour ou nuit, il se contente de constater l'obscurité ou la lumière, sans arriver à une réponse nette. De même pour les saisons. Quelques fables bien connues (Petit-Chaperon rouge, Cendrillon) nous permettent une démonstration facile de la difficulté qu'éprouve le malade à s'imaginer les étapes successives dans ces petites histoires, même après des répétitions multiples de ma part........

La notion du nombre.-Je mets devant lui deux séries de bâtons, une série de cinq pièces, une autre série de quatre pièces. Je lui demande ce qui est plus. Il commence par compter l'une en comptant les bâtons avec son doigt: un, deux, trois, quatre, cinq. Maintenant, le malade s'embrouille, il prend le dernier bâton encore une fois, dit: six, en prend un autre de la même série, dit: sept, ou bien il en prend de l'autre série tout en continuant son compte à haute voix. Toute explication de ma part reste vaine.

Je mets devant lui quatre bâtons en l'invitant à en mettre autant. Il commence à compter de la manière décrite, sans naturellement arriver à un résultat..........

En présence de deux pièces de monnaie, il en prend une, dit: un, il prend l'autre, dit: deux, reprend celle-ci ou bien la première, dit: trois. Quand je l'empêche de continuer au moment où il a prononcé le chiffre deux, en disant: "C'est bien, main

tenant, dites-moi le nombre," il est embarrassé et finit par dire: "Je ne sais pas."... Le nombre de ses enfants lui est inconnu; il sait pourtant leurs noms.

Le malade est également incapable d'apprécier le nombre des coups que je donne sur la table; en frappant toutes les fois le nombre deux, il dit que cela lui rappelle la machine de son bâteau; en donnant les coups isolés il dit: "C'est comme un clou qu'on plante dans une planche," mais il ne saisait pas la différence arithmétique.

Ainsi nous assistons au curieux spectacle d'un malade, qui a conservé l'acte de la numération, mais qui, pourtant, a perdu toute notion du nombre. Il a perdu cette notion pour les objets séparés dans l'espace comme pour les sons séparés dans le temps....

L'agraphie est absolue dans une phrase où la lecture est déjà facile. Invité à copier le mot Poot avec des lettres mobiles, il met Ppot, le mot Saar il met Asar. Parfois, les lettres sont mises au-dessus les unes des autres. Quand je lui fais copier des séries de lettres, qui sont sans signification verbale, il se trompe dans la succession; de même pour les séries de barres de couleur différente. Les troubles que nous constatons dans l'écriture (la malade tient la plume adroitement) se laissent résumer ainsi:

(1o) déformation des lettres dans la dictée comme dans la copie, il écrit p pour d; j pour l;

(2o) impossibilité de garder la ligne horizontale dans l'écriture, parfois les lettres sont dans une ligne verticale;

(3o) réduction du nombre des lettres (l'augmentation est plus rare);

(4o) trouble de la succession des lettres....

Même dans l'écriture sous la dictée, le malade s'en aperçoit, quand il a fait une faute; il indique la place qui lui paraît fautive, mais ne peut la corriger.

L'épellation ne réussit guère mieux que l'écriture, parfois même il écrit un mot spontanément qu'il ne peut pas épeler.

L'épreuve de Proust-Lichtheim-Déjerine est négative. Je lui demande combien de fois il ouvre la bouche dans le mot 'olifant,' il compte sur les doigts jusqu'à cinq.... Malgré l'absence d'agrammatisme véritable et malgré le fait qu'il sait le contenu de la phrase à écrire, il est incapable de formuler son savoir dans une phrase. Il faut que je lui précise les premiers mots, alors il peut continuer. Comme il le dit lui-même: "Je ne peux pas trouver le commencement."

L'observation de Van Woerkom, dont nous venons de rapporter les parties essentielles, nous paraît du plus haut intérêt pour l'hypothèse que nous hasarderons sur la psychologie de la pensée chez l'aphasique. Ce qui caractérise essentiellement le cas du neurologiste hollandais, ce sont des troubles de l'orientation spatiale d'origine corticale, c'est-à-dire, en définitive, si on peut s'exprimer ainsi, de la fonction de découpage et d'opposition de l'intelligence. Nous allons voir en quel sens il faut prendre cette expression. Lorsque le malade ne peut orienter une regle par rapport à une autre, quand il ne sait s'il va en haut ou en bas quand il descend l'escalier, la perturbation de l'orientation est manifeste; mais nous croyons que, malgré les apparences, tous les autres troubles qu'il présente (y compris ceux que Van Woerkom range sous la rubrique de

notion du temps) peuvent être ramenés à des phénomènes d'ordre spatial. Notons seulement, en passant, que nous prenons ici la notion d'espace au sens psychologique du mot, c'est-à-dire dans le sens d'objets étendus, distincts les uns des autres et constituant des unités concrètes; c'est l'espace perçu, par opposition à la notion géométrique que nous n'avons pas à envisager ici. En ce sens l'espace est essentiellement distinction, découpage, différenciation, opposition; en ce sens nous pensons que le fait de ne pas pouvoir distinguer une pluralité d'unités concrètes par comparaison avec une autre unité (expériences avec des séries de bâtons ou des pièces de monnaie) est un fait de même ordre que l'impossibilité de se représenter les phases diverses d'un récit quelconque. Remarquons toutefois que le malade de Van Woerkom, ainsi que ce dernier le relève, a conservé intact l'acte de la numération; il s'agit de la conservation d'un acte acquis plus anciennement, par conséquent d'un système plus stable et plus automatique que la dissolution n'a pas atteint (Hughlings Jackson). Mais le sentiment intellectuel de la différenciation, d'acquisition plus récente et partant moins automatique et moins bien organisée, fait défaut. C'est un phénomène d'observation banale chez le jeune enfant.

Arrivons-en maintenant à l'agraphie, pour employer une expression consacrée par l'usage, mais aussi vicieuse que celle d'aphasie. Le trouble constaté dénote encore ici un défaut de différenciation, d'opposition des lettres. Mais ce qui montre, semble-t-il, qu'il s'agit d'un phénomène dépassant le cadre de l'écriture, c'est que les mêmes erreurs de succession se produisent pour les séries de barres de couleur différente, qui, eux, ne sont pas des symboles graphiques. Notons, en outre (fait dont la nature spatiale saute plus rapidement aux yeux), l'impossibilité de garder la ligne horizontale dans l'écriture.

De même que ce malade avait conservé la numération mais non la différenciation d'une pluralité d'objets par comparaison avec une autre, de même, dans l'écriture sous la dictée, il peut indiquer l'endroit où il y a une faute sans pouvoir la corriger. Ce petit fait (qui, comme beaucoup d'autres, peut se retrouver à l'état dit normal) montre bien la dissociation, conforme au principe de la dissolution d'Hughlings Jackson, de l'intuition et de la connaissance différenciée.

Encore plus remarquable, dans le même sens, est le fait que, tout en sachant le contenu de la phrase à écrire (probablement sous forme d'une intuition immédiate), il est incapable, à moins de lui préciser les premiers mots, de formuler son savoir dans une phrase. Cette constatation suffirait, à elle seule, remarquons-le, en passant, à rendre insoutenable la

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