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qui s'étaient embarqués à Gravesend le 17 Septembre, 1553, ne revinrent pas tous. La peste et la misère, ces deux maux qui se valent, avaient fait de larges trouées dans leurs rangs. Martin de Cleyne dit Micron, rentré à Londres en 1558 et reparti presqu' aussitôt pour la Frise, y mourut à Norden le 12 Septembre 1559, après avoir vaillamment combattu, comme médecin et comme ministre de l'Evangile, l'épidemic qui l'enleva. Si je le cite ici de préférence à d'autres, c'est, qu'arrivé à Londres avec les premiers réfugiés flamands, il joua dans leur colonie l'un des principaux rôles. Le duc de Somerset, oncle du jeune roi Edcuard VI, et l'archèveque Cranmer, son ancien gouverneur et plus intime conseiller, lui donnèrent de nombreuses marques de bienveillance. Il en profita pour écrire et répandre à profusion des petits traités de controverse en langue flamande. Quelques uns sont simplement datés, quelques autres portent en plus cette indication, Gedruct buiten Londen, c. a. d. imprimé hors de Londres, ce qui ne nous apprendrait rien, si nous n'avions pas en même temps le nom de l'imprimeur que nous pouvons retrouver et suivre à la piste. Je possède une demi douzaine de ces petits traités, mais je suis sûr qu'il en existe bien davantage. Un seul, à ma connaissance, a été traduit en anglais, ce qui m'amène à croire qu'ils étaient surtout destinés à une œuvre de propagande dans les Pays Bas.1 Ou les retrouve en effet en fouillant les ouvriers belges qui, n'ayant pu à la longue résister à l'attirance du sol natal, tombent les uns après les autres au pouvoir des inquisiteurs espagnols qui garnissent la côte flamande guettant leur retour.

Martin Micron nous a laissé le récit circonstancié de l'une de

ces tragiques aventures.2 Il a été résumé par Crespin, par Fuller, par Van Hamstede et d'autres martyrologistes encore. Je viens de le relire avec attention, et j'y vois que, tout en étant fier comme il convient de la constance de ses frères, Micron appuie volontiers sur les sages conseils qu'il a constamment donnés aux réfugiés leur disant; "Songez que pour satisfaire ce désir bien naturel de revoir des parents, des amis, 1 A confutation of the doctrine of David George and H. N. (Henry Niclaes), the father of the family of love. By Martin Micronius, minister of the Woorde in the Dutsche Churche at London, under Edward the VI, of blessed memory, King of England, taken out of his Book concerning holy assemblies which he wrote in Latine a little before his death, at Nord in East Freesland, which also afterwards M. Nicolaus Carineus set forth publiquely in printe, certain things being added unto it, translated woorde for woorde unto English. London, 1560, p. in 80.

Een waerachtighe Historie Van Hoste (geseyt Jooris) Vander Katelyne, te Ghendt om het vry opentlick Straffen der Afgodischer Leere ghebrandt, ten grooten nutte ende vertroostinghe aller Christenen geschreven, etc. etc. door Marten Microen, pet. in 8o. de 60 feuill. chiffrés sans date ni nom ni lieu.

vous les exposez follement à tous les dangers que vous bravez pour aller à eux." Quand il se fut embarqué en 1553 plusieurs de ceux qu'il avait laissés derrière lui en leur disant, Notre départ va faire votre sécurité; tenez vous bien tranquilles, et l'on ne songera pas à vous," oublièrent ses recommandations. Hoste vander Catelyne, qu'il aimait d'autant mieux qu'il l'avait converti et rattaché en qualité de diacre à son église de Londres, fut de ce nombre. C'était non point un simple ouvrier damasquineur mais un véritable artiste dans son genre. Son travail lui avait donné une certaine aisance. Un jour cependant du mois de Mars 1555, il n'y tint plus; il lui fallait à tout prix revoir le pays natal. Il s'embarqua et vint droit à Gand. Là il commit la même faute que tant d'autres en entrant par curiosité dans l'église St. Michel à l'heure du prêche et en croyant avoir assez d'empire sur soi pour écouter sans faire entendre de protestation. Le Jacobin Pierre De Backer occupait la chaire et discourait sur le sacrement de l'autel. Quand il eut fini, Hoste l'accosta poliment et lui dit, "J'ai suivi votre sermon, mon bon ami; il est absolument contraire à l'Evangile, et si vous voulez bien me le permettre, je prouverai par la Sainte Ecriture que vous avez prêché ici une doctrine fausse et méchante." Le moine fort troublé s'en alla sans rien répondre. La foule entraina notre audacieux personnage hors de l'eglise; plusieurs lui conseillèrent de fuir au plus vite, d'autres au contraire le suivirent pour s'assurer de sa personne. Il fut arrêté le même jour, qui était le 11 Avril 1555, et déjà le surlendemain l'inquisiteur Hessels le faisait étrangler sur la place publique et brûler son corps. On était singulièrement expéditif dans ce temps là. Hessels surtout, dont John Lothrop Motley a fait un portrait fort ressemblant. Il surveillait la Flandre et montrait en toute occasion la même hâte à se débarasser des hérétiques, particulierèment de ceux qui rentraient d'Angleterre. Il en prit des centaines. Sa cruauté proverbiale se montra in 1557 dans toute son horreur vis à vis de deux membres de l'Eglise flamande de Londres, parceque l'un, Jean Wytman, de Tirlemont, avait à Ostende foulé aux pieds des hosties consacrées, et parceque l'autre, Charles Regius ou Regius ou De Coninck, de Gand, était un ancien carme devenu ministre réformé. Malgré tant de victimes qui tombent, il est impossible de ne point reconnaitre les résultats obtenus par l'exode des réfugiés d'Angleterre commencé 1553. Partout oû vont nos réformés les courages abattus se relèvent en contact de leur sérénité, de leur constance, de leur héroïsme. Ils gagnent à leur cause dans l'Allemagne luthérienne l'Electeur Palatin, le landgrave

de Hesse, le duc de Wurtemberg, le duc de Clèves et de Juliers et les comtes d'Oostfrise. Qu'on ne dise point que c'est là peu de chose, puisque le calvinisme allemand, si furieusement combattu qu'il soit, met pour un instant, au début de la guerre de Trente ans, l'Electeur Palatin sur le trône de Bohème et entraine un peu plus tard les marquis de Brandebourg, qui ouvriront les portes de la Prusse aux victimes de la révocation de l'édit de Nantes et en feront l'un des instruments de sa grandeur présente. Une dernière conséquence de l'exode d'Angleterre de 1553, qu'il convient de ne point laisser de côté, c'est que John Knox, l'illustre réformateur écossais, vint à Francfort sur le Main en 1554 et contribua, aidé par Valérand Poullain, Guillaume Whittingham, et quelques autres à donner aux bannis anglais une liturgie qui ne différait guère de celle des Flamands et des Wallons. Cette intervention mal jugée causa des troubles, et inquiéta même à tel point le Sénat de Francfort qu'il ordonna à Knox de s'éloigner sur l'heure. Mais il avait atteint son but; il avait posé la première pierre d'un édifice grandiose, et l'année suivante, quand il reparut en Ecosse, ce fut pour y triompher presque sans peine des formes religieuses vieillies ou bâtardes.

On demande toujours à l'histoire des leçons. Il me semble qu'il n'en est point de meilleure que celle qui revient sans cesse nous montrant l'impuissance de l'homme à faire le mal jusqu'au bout, à contrecarrer en cela les voies de la Providence. L'intolérance a recours contre l'esprit nouveau au fer, au feu, à la corde, à la prison, aux galères, au bannissement, mais rien n'y fait; les persécutions, dirait on, épurent et renforcent ceux qui les subissent, et le moment vient toujours où ils reparaissent, eux ou leurs enfants, et parlent en maitres. Les nations chez lesquelles ce phénomène constant ne se produit pas, sont celles que rien ne peut sauver, qui sont condamnées à disparaitre. Ces idées me sont venus en relisant dans Crespin les récits touchant de près ou de loin à mon sujet, et en les confrontant ensuite avec les sources catholiques et mes notes recueillies à droite et à gauche dans des dépôts d'archives. Je me suis demandé encore, ne pouvant sur aucun point prendre l'auteur du Livre des Martyrs en défaut, comment il s'était arrangé pour être si bien informé. Il s'en est expliqué lui même en ces termes. "Et afin qu'on ne doute "de la fidelité gardée en ces Recueils depuis que Dieu m'a fait "la grace d'en avoir jeté les premiers commencemens, j'ay "protesté et proteste avoir tasché d'escrire ce qui concerne specialement l'estat des Eglises et les assauts qu'elle ont "soustenus le plus succinctement et simplement qu'il m'a esté

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possible connoissant que vérité n'a besoin d'ornement ou "de parure en dehors d'elle. Et, au regard des escrits et confessions, je n'y ay rien mis sans avoir eu ou de l'escriture mesme de ceux qui sont morts ou aprins de la bouche de "ceux que les ont solicitez ou extrait des registres des greffes, "ou bien receu des fidèles tesmoins et d'escrits si authentiques "et certains qu'ils ne peuvent estre controllez et desmentis sinon que par ceux qui n'aiment que mensonge et ne peuvent "porter de loin ni de près la splendeur de vérité. J'ay trouvé "quelquefois des choses obscures, comme escrites en cachots "ténébreux et souvent de sang que les pauvres martyrs "s'estoyent fait sortir par défaut d'encre : les autres en assez "mauvais langage, selon qu'ils estoyent de diverses nations ou "gens de mestier, que j'ay fait traduire et redresser le plus "fidèlement que faire se pouvoit."1

Ces renseignements sont précieux, malheureusement ils ne nous apprennent pas tout ce que nous voudrions savoir L'honnête Crespin ne nomme aucun de ses collaborateurs et de ses correspondants de peur de les compromettre, mais la large part qu'il fait aux martyrs d'Angleterre vient à l'appui de ce que l'on sait déjà de ses rapports intimes avec l'illustre non-conformiste John Fox et le savant pasteur Adrien van Haemstede que l'évêque anglican de Londres Grindall, devait poursuivre de sa haine et faire chasser d'Angleterre en 1562 comme trop libéral et trop indulgent envers les anabaptistes. Fox et van Haemstede publient chacun un martyrologe.. Celui de van Haemstede parait en 1559 en flamand, et celui de Fox in 1563 en anglais, ce qui explique qu'on ne jugea point à propos de traduire le livre de Jean Crespin dans ces deux langues.

D'ailleurs tous les trois ils se copient ou tout au moins ils se répétent, et qualifier, ainsi que l'ont fait des auteurs catholiques le livre de Fox de nouvelle Légende dorée, c'est jeter, sans plus de raison, le même discrédit sur l'œuvre de Crespin et de Van Haemstede. Ils ont tous les mêmes procédés, et tous ils poursuivent un même but qui est d'offrir à leurs coreligionnaires des sujets d'édification et des leçons d'héroïsme, afin de les rendre plus fermes dans leur foi et plus capables de résister vaillamment à toutes les tentations et toutes les

épreuves de la vie. On comprend, d'après cela, qu'ils tiennent moins à être complets qu'à être véridiques et intéressants. Nous avons sur ce point l'aveu de Jean Crespin

1 Histoire des martyrs persécutez et mis à mort pour la verité de l'Evangile depuis le temps des Apostres jusques à l'an 1597. (Genève) 1597 In. fo. v. la préface fo. 3 verso.

que Van Haemstede aurait pu répéter. Quand les sentences officielles des victimes, leurs propos avec les moines inquisiteurs et leurs lettres d'adieux à leurs parents et à leurs amis leur font défaut, ils passent outre. Delà, comme bien on pense, nombre de martyrs demeurés dans l'oubli. Un fait le prouve. Dès 1572 John Fox avait recueilli de la bouche de deux marins de Rye les moindres détails de la fin lamentable de leur camarade Jean Wytman, un cordonnier originaire de Tirlemont en Brabant et fixé depuis nombre d'années dans la petite ville de Rye au comté de Sussex.

Il en fit mention dans la seconde édition de son livre intitulé: Acts and monuments of matters most speciall and memorable happening in the Church of Christ, etc., mais ni le martyrologiste français ni le martyrologiste flamand ne lui impruntèrent son récit, et la raison en est, à ce que je crois, que la mort de Jean Wytman ne leur offrait point de leçon n'ayant été qu'un acte de désespérance et de folie sacrilège.1

Il

Ši la fatigue de l'exil a fait des martyrs, on peut aussi lui reprocher d'avoir fait des espions. Josse Velsen ou Velsius, originaire de La Haye, joua ce triste rôle avec grand fracas. C'était un savant qui, après avoir étudié et professé à Louvain, s'était mis un beau jour à courir le monde si grande était sa peur de l'Inquisition qui sévissait dans les Pays Bas.2 vécut successivement à Strasbourg, à Cologne, à Marbourg, à Londres, se disant, suivant les lieux et les circonstances, bon catholique ou bon protestant. Dès son arrivée en Angleterre il s'était rangé de l'église flamande d'Austin Friars à Londres, ce qui ne l'empêcha point d'entretenir secrètement des relations avec l'évêque de Quadra, ambassadeur de Philippe II. auprès de la reine Elisabeth. La nature de ces rapports nous est révélée par une lettre du conseiller espagnol d'Assonleville écrite le 24 Avril, 1563, de Durhampton, au cardinal de Granvelle, qui résidait alors à Bruxelles comme ministre tout puissant. Voici le passage qui le concerne : C'est une grande "confusion de la multitude des nostres qui sont icy fuis pour "la Religion. On les estime en Londres, Sandvich et comarque "adjacente de dix huict à vingt mille testes. Il y en a plu"sieurs qui désireroyent retourner comme Velsius a dit au seigneur de Quadra et à moy. Velsius, qui s'est enfuy "parceque Lindanus le menaçoit de l'empoigner, montre un grand respect pour l'auctorité de l'Eglise, surtout depuis 'qu'il s'est mis à lire les livres nouvellement trouvés de Denis 1J. Fox's Actes and monuments of these latter dayes. Ed. de 1849. v. VIII p. 664.

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(Paquot) Mémoires pour servir à l'histoire littéraire des dix sept provinces des Pays Bas. Louvain 1767 v. IX. p. 438.

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