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grands effets;. et souvent dans la peinture de ses supplices il emploie une fatigue de mots qui rend merveilleusement celle des tourmentés. L'imagination passe toujours de la surprise que lui cause la description d'une chose incroyable, à l'effroi que lui donne nécefsairement la vérité du tableau : il arrive de-là que ce monde visible ayant fourni au Poète afsez d'images pour peindre son monde idéal, il conduit et ramène sans cefse le Lecteur de l'un à l'autre; et ce mélange d'événemens si invraisemblables et de couleurs si vraies, fait toute la magie de son Poème.

Le Dante a versifié par tercets, ou à rimes triplées; et c'est de tous les Poètes celui qui, pour mieux porter le joug, s'est permis le plus d'exprefsions impropres et bizarres : mais aufsi quand il est beau, rien ne lui est comparable. Son vers

se tient debout par la seule force du substantif et du verbe, sans le concours d'une seule épithète ❝.

Si les comparaisons et les tortures que le Dante imagine, sont quelquefois horribles, elles ont toujours un côté ingénieux, et chaque supplice est pris dans la nature du crime qu'il punit. Quant à ses idées les plus bizarres, elles offrent aufsi je ne sais quoi de grand et de rare qui étonne et attache le Lecteur. Son dialogue est souvent plein de vigueur et de naturel, et tous ses personnages sont

6 Tels sont sans doute aufsi les beaux vers de Virgile et d'Homère; ils offrent à-la-fois la pensée, l'image et le sentiment: ce sont de vrais polypes; vivans dans le tout, et vivans dans chaque partie; et dans cette plénitude de poésie, il ne peut se trouver un mot qui n'ait une grande intention. Mais on n'y sent pas ce goût âpre et sauvage, cette franchise qui ne peut s'allier avec la perfection, et qui fait le caractère et le charme du Dante.

fièrement dessinés. La plupart de ses peintures ont encore aujourd'hui la force de l'antique et la fraîcheur du moderne, et peuvent être comparées à ces tableaux d'un coloris sombre et effrayant, qui sortoient des ateliers des Michel-Ange et des Carraches, et donnoient à des sujets empruntés de la Religion, une sublimité qui parloit à tous les yeux.

pas

Il est vrai que dans cette immense galerie de supplices, on ne rencontré afsez d'épisodes; et malgré la briéveté des Chants, qui sont comme des repos placés de très-près, le Lecteur le plus intrépide ne peut échapper à la fatigue. C'est le vice fondamental du Poème.

Enfin, du mélange de ses beautés et de ses défauts, il résulte un Poème qui ne ressemble à rien de ce qu'on a vu, et

qui laisse dans l'ame une impression durable. On se demande, après l'avoir lu, comment un homme a pu trouver dans son imagination tant de supplices différens, qu'il semble avoir épuisé les refsources de la vengeance divine; comment il a pu, dans une langue naissante, les peindre avec des couleurs si chaudes et si vraies; et dans une carrière de trentequatre Chants se tenir sans cesse la tête courbée dans les Enfers.

Au reste, ce Poème ne pouvoit paroître dans des circonstances plus malheureuses : nous sommes trop près ou trop loin de son sujet. Le Dante parloit à des esprits religieux, pour qui ses paroles étoient des paroles de vie, et qui l'entendoient à demi-mot: mais il semble qu'aujourd'hui on ne puisse plus traiter les grands sujets mystiques d'une ma

nière sérieuse. Si jamais, ce qu'il n'est pas permis de croire, notre théologie devenoit une langue morte, et s'il arrivoit qu'elle obtînt, comme la mythologie, les honneurs de l'antique; alors le Dante inspireroit une autre espèce d'intérêt: son Poème s'élèveroit comme un grand monument au milieu des ruines des Littératures et des Religions: il seroit plus facile à cette postérité reculée, de s'accommoder des peintures sérieuses du Poète, et de se pénétrer de la véritable terreur de son Enfer; on se feroit chrétien avec le Dante, comme on se fait payen avec Homère 7.

7 Je serois tenté de croire que ce Poème auroit produit de l'effet sous Louis XIV, quand je vois Pascal avouer dans ce siècle, que la sévérité de Dieu envers les damnés le surprend moins que sa miséricorde envers les élus. On verra par quelques citations de cet éloquent mysanthrope, qu'il étoit bien digne de faire l'Enfer, et que peut-être celui du Dante lui eût semblé trop doux.

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