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trembloit pour la destinée de Pallas. Dans ce discours du onzième livre, il commence par déplorer la mort de son fils; il parle ensuite de la gloire, et les trophées du jeune héros consolent son désespoir.

Quelque vive que soit sa douleur, et quel que soit le désordre de ses pensées et de ses discours, il n'accuse pas les Troyens de la mort de son fils; il sait qu'ils se sont conduits en fidèles alliés, et c'est d'eux seuls qu'il attend sa

vengeance :

Dextera causa tua est, Turnum gnatoque patrique

Quam debere vides....

Cet appel d'Évandre à la fidélité d'Énée devient pour lui une impérieuse loi, et justifie d'avance tout ce qu'il pourra entreprendre contre Turnus et les Latins; il se trouve ainsi porté au dénouement du poëme et à l'accomplissement de ses destinées par les plus puissans motifs. Mais déjà le poëte a décrit toutes les scènes les plus intéressantes de l'affliction des Arcadiens; il revient sur le champ de bataille, et y fait une touchante description des bûchers funéraires, et des cérémonies célébrées en l'honneur des morts. On trouve dans ce passage les détails les plus exacts des coutumes des anciens; rien n'y est oublié, et l'esprit religieux de Virgile prolonge ce récit avec toute l'étendue qu'exigeoit le respect de l'antiquité pour ces cérémonies.

On doit regretter que l'auteur de la Henriade n'ait point

introduit dans son poëme ces scènes attendrissantes; il les a abandonnées à Scudéri et au père Lemoine, qui les ont gâtées. Scudéri, dans Rome vaincue, fait ainsi la description des funérailles d'Athalaric:

D'un air lent et plaintif les trompettes sonnantes,
Les troupes, les yeux bas et les armes traîuantes,
Marchant avec un ordre aussi triste que beau,
Filent depuis le camp jusques au grand tombeau.
D'un crêpe noir et clair les enseignes couvertes
Traînent nonchalamment sur les campagnes vertes;
. Et le bruit des tambours et celui des clairons
Fait gémir après lui les lieux des environs.
Mille et mille flambeaux touchent les yeux et l'ame
Par l'objet lumineux d'une forêt de flamme, etc.

Le père Lemoine a traité le même sujet dans un style peut-être encore plus barbare. Le ridicule des vers de Scudéri et du père Lemoine est d'autant plus impardonnable, qu'ils paroissent avoir eu le poëte latin sous les yeux. Ce sont là les poëtes que Lamotte préféroit à Homère et à Virgile; la citation que nous venons de faire doit prouver combien il avoit peu de goût ou de bonne foi. Il faut cependant avouer que l'auteur du poëme de Saint-Louis n'étoit pas sans imagination; il a imité assez heureusement les prédictions d'Anchise dans le sixième livre de l'Eneide en faisant prédire par un ange à saint Louis les destinées de sa race. Voltaire a profité de cette idée, et il n'a fait que

mettre en beaux vers la pensée du père Lemoine. C'est aussi du même poëte que Voltaire a emprunté la belle comparaison d'Aréthuse.

Spargitur et tellus lacrymis, sparguntur et arma.

Cette image est exagérée; elle est cependant empruntée de l'Iliade, chant vingt-troisième. Quintus de Smyrne (1), renchérissant encore sur cette idée, dit qu'aux funérailles d'Achille les larmes des peuples furent si abondantes, que les tentes et les vaisseaux en étoient inondés.

Jam verò in tectis prædivitis urbe Latini

Præcipuus fragor, et longi pars maxima luctùs, etc.

C'est chez les Latins, c'est dans le palais de leur roi, que le deuil et les larmes doivent être à leur comble. Non seulement ils ont fait de plus grandes pertes que les Troyens, mais ils ne trouvent point de consolations dans la victoire. Un ennemi vainqueur est à leurs portes. Dans cette extrémité ils accusent l'auteur de leurs maux ; et Drancès saisit cette occasion de diriger leur haine contre Turnus; il rap

(1) Quintus de Smyrne, ou le Calabrois, vivoit quelque temps avant Virgile. Il a fait un poëme intitulé la Guerre de Troie, en forme de supplément à Homère, pensant que l'Iliade n'étoit pas finie: on a fait de même un supplément à l'Énéide. L'ouvrage de Quintus, où l'on trouve de grands défauts avec quelques beautés, a été traduit récemment en français par M. Tourlet.

pelle adroitement la proposition d'un combat singulier que lui a faite Énée, et il veut ainsi le pousser à sa perte. Cette situation est naturelle et vraie; on la retrouve à chaque page de l'histoire ; elle conduit admirablement bien le poëte à son dénouement.

Vidimus, o cives, Diomede Argivaque castra....

Cette exclamation, par laquelle les ambassadeurs commencent leur rapport, peint bien l'enthousiasme et la vénération dont les a pénétrés un héros si fameux déplorant au fond de l'Italie les écarts de sa bouillante jeunesse. L'univers étoit alors rempli de la guerre de Troie, et il n'étoit aucun pays où la renommée n'eût porté les noms de ceux qui s'y étoient signalés. C'étoit donc une grande faveur d'être admis en la présence de Diomède, et pour les ennemis des Troyens une grande satisfaction de pouvoir dire qu'ils avoient touché la main qui renversa Pergame:

Contigimusque manum quâ concidit Ilia tellus.

Nous avons dit que le principal but d'une grande partie de ce chant paroît être d'effrayer les nations des résultats de la guerre. Rien n'est plus propre à remplir cet objet que le spectacle d'un des plus illustres guerriers de son temps finissant sa carrière dans l'oubli et loin du tumulte des armes, après avoir perdu tous ses amis, après avoir vu périr tous les compagnons de ses travaux, et ne trouvant plus de jouis

sances que dans le calme et la paix, occupé de bâtir une ville, et ne se rappelant qu'avec la plus vive douleur la part qu'il avoit prise à la ruine d'Ilion. L'aspect des Latins qui lui proposent de reprendre les armes réveille sa douleur, et il s'écrie dans toute l'amertume de ses regrets:

O fortunatæ gentes, Saturnia regna,

Antiqui Ausonii, quæ vos fortuna quietos
Sollicitat, suadetque ignota lacessere bella?

Cette exclamation est extrêmement touchante; elle est un prélude heureux pour tout ce que Diomède va dire. On voit déjà quelle sera sa réponse.

Quicumque Iliacos ferro violavimus agros,

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Supplicia, et scelerum pœnas expendimus omnes....

Virgile veut que les murs de Rome soient inviolables, et il donne ce privilège à ceux de Troie, dont il a transmis les droits et l'illustration à sa patrie. C'est évidemment dans cette intention qu'il fait dire à Énée dans le second chant: O patria! o divům domus Ilium! et inclyta bello Mania Dardanidûm!

les

Le nouvel Ilion est aussi la patrie des dieux et des héros; ses murs sont illustrés les par armes; et la cité que Romains se plaisoient dans leur orgueil à appeler la ville éternelle, urbs æterna, ne doit pas être moins sacrée que celle de Priam. Les peuples et les rois qui oseront l'atta

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