網頁圖片
PDF
ePub 版

successive ou soumise à la succession, n'ait cependant pas de limite.

C'est en raison de cette équivoque que M. Domet de Vorges trouve plus difficile d'accorder l'éternité à une créature unique que de l'accorder à une série d'êtres périssables. Il doit savoir que nos ancêtres, les Scolastiques, ont unanimement pensé le contraire,et que beaucoup d'entre eux, repoussant la série infinie, admettaient la possibilité d'une créature éternelle, sachant fort bien ne faire aucun tort en cela à la Cause Première, l'éternité dont il peut être question à propos d'une créature étant aux antipodes de celle de Dieu.

«Nous ne trouvons nulle trace chez saint Thomas, dit notre auteur, de cette idée mise en avant par le P. Sertillanges, que la durée de la créature éternelle différerait de celle de Dieu parce que l'éternité de Dieu est déterminée, tandis que la durée de la créature serait indéterminée. » — Aussi n'avons-nous pas dit précisément cela. Nous avons dit que la durée de la créature éternelle différerait de celle de Dieu, parce que bien que l'une et l'autre fussent infinies, la durée de Dieu est infinie en ce sens qu'elle est indivisible, et par là incapable de mesure; tandis que la durée de la créature éternelle serait infinie en ce sens qu'elle serait privée de mesure, et par suite indéterminée. Serait-il nécessaire de montrer à M. Domet de Vorges que cela se trouve dans saint Thomas?

« Qu'est-ce qu'une durée réelle, quoique indéterminée? »> demande encore notre critique. Encore une équivoque sous cette question. Une chose réelle, dans la mesure où elle est réelle, c'està-dire existant en acte, est évidemment déterminée, et c'est même pour cela que nous repoussons tous l'infini en acte, parce que celui-ci,étant réalisé dans son ensemble, donnerait lieu à une parfaite contradiction, l'idée d'ensemble, de tout, dans le domaine des choses quantitatives, étant juste le contraire de l'idée d'infini (1). Mais reste à savoir dans quelle mesure une durée successive est

(1) « Totum habet rationem formæ ; infinitum autem est sicut materia non habens formam. «(In Phys. 1. II. lect. XI.)

une chose en acte, et dans quelle mesure,par suite, la détermination lui convient.

Or la durée successive est en acte le mot même le dit dans chacune de ses parties successives; elle n'est pas en acte dans son ensemble. Le temps n'a d'être permanent que dans notre esprit, qui perçoit la continuité du mouvement et en garde la trace en luimême; en soi, le temps est essentiellement instable. Il se ressaisit sans cesse dans la mort; mais sans que jamais deux de ses parties coexistent. Il n'y a de réel, en lui, que le présent, et le fait, pour ce présent, de changer sans cesse. Qu'on ne se le représente donc pas comme une grande barre tracée à la craie, laquelle a besoin de deux extrémités pour être réelle. Le monde est, et le monde se meut, et de même que la seule réalité du mouvement, c'est le mobile, en tant qu'il est dans divers états: ainsi la seule réalité du temps c'est le présent, en tant qu'il s'écoule sans cesse. Or, cette réalité est déterminée, de la détermination même du mouvement et du mobile que l'on saisit dans un de ses états successifs. C'est tout ce qu'il faut pour satisfaire au principe : tout ce qui existe est déterminé.

Quant au passé, quant au futur, qui ne peuvent former un ensemble que dans notre esprit, et non pas en eux-mêmes où ils n'existent que pièce à pièce, ils n'ont besoin de détermination que celle que cet esprit leur impose, et il reste vrai de dire qu'ils sont réels, en nous, dans la mesure où ils sont déterminés (1).

Nous avons le moyen de nous faire entendre, ici, très exactement, de M. Domet de Vorges. Il n'ignore pas la théorie scolastique de la matière; elle nous offre un exemple parfait de notre cas.

Quand on dit aux scolastiques : votre matière étant un pur indéterminé ne saurait être réelle, ils répondent aussi n'est-elle pas réelle en elle-même, si ce n'est de la réalité d'une puissance; elle n'est pas. Mais la matière n'est pas faite pour exister en elle-même; elle existe dans et par les divers composés qu'elle forme, et là,elle est parfaitement déterminée.

(1) « Nihil est temporis in actu, nisi nunc,neque aliquid motus est in actu, nisi quoddam indivisibile. Sed intellectus apprehendit continuitatem temporis et motus, accipiendo ordinem prioris et posterioris: ita tamen quod id quod primo fuit acceptum de tempore vel motu non permanet sic. Unde non oportet dicere quod totus motus infinitus sit in actu, vel quod totum tempus sit infinitum. » (In Phys. lib. III, lect. x.)

Il en est de même en notre cas, sauf que ce cas est beaucoup plus facile à admettre. Le temps, considéré comme une étendue, n'a pas d'existence en lui-même ; c'est un être successif par nature; il n'existe donc que dans et par chacune de ses parties qui se succèdent l'une à l'autre. L'ensemble, n'ayant pas d'être propre, n'a pas besoin de détermination propre, pas plus que la matière première n'a besoin de spécification.

Et que dirait, de grâce, notre philosophe, si nous demandions : que pensez-vous de l'avenir? Doit-il un jour prendre fin? Doit-il rencontrer une borne en sa course? Non. Alors c'est un infini, un indéterminé, et cet indéterminé, Dieu le veut. Et que devient dès lors votre phrase: « Dieu peut-il vouloir, sans vouloir une chose déterminée?

Oh! la réponse est facile : La chose déterminée que Dieu veut, c'est précisément ce futur indéterminé; c'est l'absence de terme dans le déroulement prodigieux de ses œuvres. Qu'on nous laisse donc, à l'égard du passé, le bénéfice de cette réponse. Dieu a pu vouloir une durée infinie, c'est-à-dire une durée où tout instant fût un commencement et un terme. Assurément il y a là un mystère profond; mais si l'on envisage l'idée de commencement absolu, n'y trouve-t-on pas un égal mystère? La création dans le temps n'offre-t-elle pas d'effrayantes difficultés? C'est le cas de tous les problèmes qui mettent en cause l'infini de nous faire toucher aux abîmes. Mais une impossibilité, une contradiction rendant absurde l'hypothèse de l'éternité du monde? Qu'on nous la montre. On ne l'a point fait jusqu'ici.

Fr. A.-D. SERTILLANGES,

des Frères Prêcheurs.

REVUE CRITIQUE DES REVUES

[ocr errors]

I

PHILOSOPHIE SOCIALE

[ocr errors]

ABBÉ DUBOIS Notes sur la valeur d'échange en économie politique (La Démocratie chrétienne, mai 1898). ABBÉ W. HOпOFF: Théorie de la valeur (La Démocratie chrétienne, juin 1898). M. Dubois veut opposer la commune doctrine de saint Thomas et des théologiens moralistes à la théorie marxiste que préconisent certains catholiques, surtout en Allemagne. M. Hohoff, prêtre westphalien, honorablement connu pour diverses études de sociologie et d'histoire, tient pour la thèse marxiste. Selon M. Dubois, la valeur d'échange des produits ouvrés n'est pas le seul effet du travail, bien que d'ailleurs sa durée et sa qualité puissent influer sur elle. C'est l'aptitude des produits ouvrés à servir aux besoins de la nature humaine, autrement dit leur utilité, qui détermine leur désir chez l'acheteur et leur prix ou valeur d'échange. Non pas qu'il faille tabler sur l'utilité accidentelle du produit pour tel acheteur particulièrement besogneux ou pour tel amateur passionné. Ceci est propre à l'acheteur; le vendeur n'est pas en droit de le lui faire payer (IIa IIae, LXVII, art. 1. Doctrine commune des auteurs, selon l'observation du P. Clément Marc, Institutiones morales Alphonsiana, I, n° 1130, Quæst. 4o, n° 2- sauf quelques-uns qui admettent comme légitime la convenance payée). Il faut estimer la valeur vénale d'après l'utilité commune, intrinsèque, résultant des propriétés de la chose usuelle et constatée par l'estimation commune. L'une de ces propriétés, c'est la rareté même de la chose utile, par rapport au nombre d'acheteurs qui la demandent, ou, contrairement, son abondance: le jeu de l'offre et de la demande amène donc naturellement de légitimes variations du cours commun des produits. La thèse de M. Hohoff s'oppose radicalement à la thèse de M. Dubois, qui serait, si la théorie marxiste est vraie, la confusion même de deux notions opposées celle de l'utilité et celle de la valeur. « Il est évident que ceux-là seulement font cette confusion qui ne sont pas encore familiarisés avec les principes les plus élémentaires de la science économique ». Assurément, il n'y a pas beaucoup à attendre d'un économiste qui confondrait valeur d'usage et valeur d'échange; mais quant à voir cette confusion dans la théorie de l'utilité réelle comme fondement premier

[ocr errors]
[ocr errors]

t

[ocr errors]

de la valeur vénale, c'est aller vite en critique. La valeur vénale peut se fonder sur la valeur usuelle sans pour cela se confondre avec elle. La thèse de M. H. nous semble ici totalement dénuée de réalité. « De bonne foi, »> disons-nous avec M. Dubois, << une maison située au centre « d'une ville, à proximité des voies de communication, pourvue des avan<tages exceptionnels résultant de sa position, n'a t-elle pas plus de valeur << qu'une maison exactement semblable bâtie dans un faubourg? >> - Nous sommes heureux de signaler à M. l'abbé Dubois l'accord de ses vues avec celles qu'exposait ici même le R. P. Alexandre Mercier dans sa Théorie du juste salaire (Revue Thomiste, juillet 1896, p. 324 et suiv.).

M.-B. S.

L. DE LANTSHEERE: Le Pain volé - (Revue sociale catholique, 1er mai et 1er juillet 1898). - Il s'agit du pain, désormais célèbre, que cette pauvre femme, ayant à nourrir sa mère et son enfant, et privée de toute nourriture pour elle-même et pour eux depuis trente-six heures, enleva dans la boutique d'un boulanger de Château-Thierry. Selon M.de L..., le jugement du tribunal, acquittant cette femme, n'a rien de révolutionnaire. Loin de là, ses considérants sont plutôt trop timides : ils l'excusent d'intention frauduleuse, mais pas tout à fait; ils la regardent comme n'ayant pas agi en pleine liberté et avec une juste notion du bien et du mal. A vrai dire, <<< nos << lois modernes ne contiennent aucune disposition sur ce point. Il faut <«< s'en rapporter aux principes généraux », et ceux-ci ne sont pas entendus de même par les auteurs. Dalloz, Chauveau et Hélie ne voient dans le cas d'extrême nécessité qu'un cas d'atténuation de la peine. Elle n'empêche pas le vol d'être un vol; mais elle le rend moins coupable. D'autres, Garraud, Hans, Thonissen, Nypels, excusent subjectivement l'auteur du vol : « Si l'indigent affamé est menacé de perdre la vie, dit Thonissen, il faut évidemment admettre en sa faveur l'existence de la contrainte << morale. Il se trouve dans toute la force des termes en face d'une menace << de mort. » Il est excusable par défaut de libre arbitre. On peut aller plus loin avec le droit canon et les théologiens, observe M. de L..., qui cite et justifie brièvement la doctrine de saint Thomas sur la communauté des biens en cas de nécessité extrême (II II", LXVI, art. 7). Il eût pu ajouter : c'est l'enseignement renouvelé par Léon XIII, en ce passage de l'Encyclique De conditione opificum, qui rappelle aux riches leur dette de stricte justice envers les pauvres, s'ils se présentent à eux en état d'extrême nécessité. Il faut done, sans crainte, excuser de tout vol l'homme qui, dans ce cas, met la main sur le bien dont il a besoin pour ne pas mourir. Ce n'est plus le bien d'autrui; c'est le sien.

M.-B. S.

« 上一頁繼續 »