網頁圖片
PDF
ePub 版

en le limitant non pas dans son essence, la forme comme telle étant toujours la même et incapable de degrés, mais dans son être et sa réalisation concrète. Quand une forme en effet est reçue dans la matière, elle ne jouit plus de tout l'être dont elle est susceptible, mais elle est resserrée dans les limites du sujet qu'elle détermine : car c'est un principe que tout ce qui est reçu dans un sujet y est reçu suivant les conditions de ce sujet. Cette doctrine est encore expliquée d'une autre manière par la comparaison que l'on peut faire entre la nature corporelle et la nature spirituelle. Les corps sont finis et imparfaits à un double titre. Ils sont finis, comparés à des ètres supérieurs, et cela en raison de leur forme; ils sont finis en second lieu par rapport aux êtres de même nature qu'eux, en raison de leur matière, qui restreint l'être de la forme, chaque corps ne participant pas à tout l'être de la forme (1). Les substances spirituelles au contraire sont finies sans doute comme les corps en raison de leur forme elles ne sont pas en effet la plénitude de l'être, esse subsistens, elles sont en puissance à une perfection plus grande, aussi sont-elles composées d'essence et d'être; mais elles sont infinies d'une certaine manière par rapport à la réalisation de l'être dont elles sont susceptibles, puisque n'étant pas composées de matière, la perfection qu'elles tiennent de la forme n'est pas limitée, comme cela a lieu pour le corps, par un sujet dans lequel elle serait reçue (2).

La théorie que nous venons de rappeler va nous permettre de comprendre comment la multiplicité des êtres doit être différente dans les substances composées de matière et de forme, comme sont les corps, et celles qui sont sans matière, comme les esprits. Il y a sans doute multiplicité dans la nature spirituelle, parce qu'en elle se trouvent l'acte et la puissance: elle est en effet en

(1) « Tertio modo essentia invenitur in substantiis compositis ex materia et forma in quibus et esse est receptum et finitum. Propter quod et ab alio esse habent, et iterum natura vel quidditas earum recepta est in materia signata; et ideo sunt sunt finite et superius et inferius... » De ente et essentia, cap. vi.

(2)« Substantiæ immateriales creatæ sunt finitæ secundum suum esse, sed infinitæ secundum quod earum formæ non sunt receptæ in alio: sicut si diceremus albedinem separatam existentem esse infinitam, quantum ad rationem albedinis, quia non contrahitur ad aliquod subjectum. Esse tamen ejus esset finitum, quia determinatur ad aliquam naturam specialem. Et propter hoc dicitur in lib. De Causis quod intelligentia (spiritus) est finita superius, in quantum scilicet recepit esse a suo superiori, sed est infinita inferius, in quantum non recipitur in aliqua materia. » Sum. Theol., I P., q. 50, a. 2.

puissance par rapport à un acte supérieur, à l'être par essence. On conçoit donc dans cette puissance des différences possibles, qui détermineront une pluralité spécifique de formes diverses (1). Mais comme la forme chez les esprits n'est pas reçue dans la matière, il n'y a pas de pluralité possible par rapport à une même forme, c'està-dire dans la même espèce; en d'autres termes, de pluralité individuelle. Il en va autrement dans le monde des corps. Là on y rencontre une pluralité qui affecte les individus eux-mêmes; pluralité actuelle ou du moins toujours possible dans chaque espèce, puisque la forme peut toujours être reçue dans de nouveaux sujets, rien ne venant limiter cette puissance de réception qui appartient à la matière (2).

La matière première, en tant que sujet de la forme, est donc le principe fondamental de la multiplication numérique des individus dans la même espèce. Mais il est facile de remarquer, l'analyse de la notion d'individu le démontre, qu'à ce seul titre elle n'est pas néanmoins principe complet de cette multiplication. L'individu, dit saint Thomas (3), suppose deux choses: l'incommunicabilité, c'est-à-dire ce caractère en vertu duquel il ne peut pas appartenir à un sujet, étant lui-même sujet premier, la substance première d'Aristote en ce sens l'individualité s'oppose proprement à l'universalité qui est essentiellement communicable. I suppose en outre la distinction avec un autre individu que lui-même, existant ou possible, en vertu de certaines déterminations qui lui soient propres. Or le premier caractère de l'individu, l'incommunicabilité, vient de la matière et de la matière seule elle est en effet le premier sujet des déterminations de l'ètre; or un sujet de cette nature est nécessairement incapable d'appartenir à un autre qu'à luimême et par conséquent est singulier. Quant à la distinction des individus entre eux, elle ne peut venir évidemment de la matière première seule ; celle-ci en effet est essentiellement indéterminée

(1)«< Quia in intelligentiis ponitur potentia et actus, non erit difficile invenire multitudinem intelligentiarum : quod esset impossibile, si nulla potentia in eis esset. » De ente et ess., cap. v.

(2) C'est ainsi qu'il faut entendre cette infinité potentielle des formes matérielles par rapport à leurs sujets possibles. « Creaturæ materiales, dit saint Thomas, habent infinitatem ex parte materiæ. » Sum. Theol. loc. cit.

(3) Opusc, de Principio individuationis (vers. med.).

et homogène, or l'indéterminé ne peut être la raison de la détermination que réclame la distinction numérique des individus. Il faut donc que la matière produise cette distinction par quelque chose qui lui soit surajouté. Nous arrivons ainsi à la seconde proposition de notre syllogisme : La matière première ne peut être principe d'individuation, nous voulons dire principe adéquat, qu'à la condition qu'elle soit aussi la raison de l'étendue.

L'individuation, nous l'avons vu, réclame la distinction des individus entre eux. Or cette distinction n'est possible qu'à la condition qu'un individu occupe une autre partie de l'espace qu'un autre individu, ou, pour parler selon la rigueur des termes, le rapport avec l'espace n'étant pas quelque chose de primitif, qu'à la condition qu'un individu n'exige pas la même partie de l'étendue qu'un autre. La distinction des individus dans la nature corporelle exige donc que celle-ci possède l'étendue. D'autre part, l'étendue a tout ce qui est nécessaire pour produire cet effet. C'est ici qu'il faut remarquer ce caractère particulier et absolument unique qui distingue l'étendue de tous les autres accidents. Ceux-ci ont pour acte formel de donner une détermination spécifique, mais nullement numérique et individuelle: la blancheur, par exemple, présente une détermination spéciale de couleur, distincte de toute autre, mais par elle-même, indépendamment du sujet qu'elle affecte, elle ne comporte aucune distinction numérique, aucune pluralité de parties. Il est donc impossible qu'une blancheur se distingue d'une autre (de même espèce, de même teinte), autrement que par les parties de l'être qu'elle détermine. L'étendue au contraire possède par elle-même, en raison même de son essence et de sa définition, une multiplicité de parties, qui par conséquent sont distinctes numériquement (au moins après la division effectuée, ce qui suffit pour notre démonstration), et possèdent ainsi par elles-mêmes leur propre individuation. Qu'il nous soit permis de citer ces paroles si claires du Docteur Angélique : « Habet hoc proprium quantitas dimensiva inter accidentia reliqua, quod ipsa secundum se individuatur... Ubicumque enim intelligitur diversitas partium ejusdem speciei necesse est intelligi individuationem, nam quæ sunt unius speciei non multiplicantur nisi secundum individuum: et inde est quod non possunt apprehendi multæ albedines, nisi secundum quod sunt in diversis subjectis; possunt autem apprehendi multæ lineæ etiam

si secundum se considerentur: diversus enim situs, qui per se lineæ inest, ad pluralitatem linearum sufficiens est (1). »

L'individuation, nous l'avons montré, ne se conçoit pas sans l'étendue : elle suppose à la fois l'incommunicabilité de la forme appartenant à un sujet déterminé, et la distinction numérique des individus entre eux fondée sur la divisibilité de l'étendue. De ces deux conditions la première est manifestement fondée sur la matière première qui en est, si on veut, la raison immédiate. Nous ajoutons que la matière est aussi la raison médiate et dernière de la seconde condition. Pourquoi les individus de la nature corporelle sont-ils distingués numériquement entre eux? C'est immédiatement à cause de l'étendue à laquelle ils sont soumis. Mais pourquoi la substance corporelle est-elle douée d'étendue? C'est parce que, nous l'avons dit, n'étant pas un acte subsistant et parfait en son genre, elle doit nécessairement pouvoir se trouver dans plusieurs sujets qui limitent son être, sujets indéfinis quant au nombre, puisque rien ne limite cette potentialité et cette réceptivité de la matière, et qui ne peuvent être distincts les uns des autres qu'à la condition qu'ils existent affectés de portions d'étendue distinctes elles-mêmes les unes des autres. Donc la matière qui est la raison de la pluralité potentielle des individus est aussi le principe de l'étendue, celle-ci étant nécessaire pour que cette pluralité passe à l'acte par la distinction des individus entre eux.

Nous pourrions résumer ainsi notre argument. Un principe est la raison d'être non seulement des effets qui en découlent immédiatement, mais encore de ce qui résulte nécessairement de ces effets. Or la quantité ou l'étendue résulte nécessairement de la pluralité des individus, actuelle ou possible, qu'on rencontre dans la nature corporelle et qui est un effet de la matière première. Donc la matière première qui est la raison de la pluralité des individus est aussi la raison de l'étendue.

2.

Quelques explications sur la doctrine qu'on vient d'exposer.

Quelques explications cependant sont nécessaires pour éclairer et confirmer l'argument que nous venons d'exposer.

(1) Cont. Gent. IV, 65. — Cf. in 4 Sent. Dist. 12, q. 1, a 1, ad 3; Quodlib. 7. art. 10.

Par la formule même que nous avons énoncée en disant : la matière première est la raison de l'étendue, nous nous séparons, cela va sans dire, de l'opinion d'Averroès signalée plus haut, qui prétend que la matière première non seulement explique l'étendue, mais la possède actuellement par elle-même; nous laissons aussi par là suffisamment entendre que la quantité, quoique fondée essentiellement sur la matière pour la raison donnée plus haut, ne peut néanmoins appartenir au corps que postérieurement à la détermination apportée par la forme. En d'autres termes, la matière possède la quantité en puissance, mais cette puissance ne lui convient que subséquemment à celle qui est en elle par rapport à la forme substantielle. C'est cette dernière puissance qui est essentielle et fondamentale dans la matière première, qui sert à la concevoir et à la définir. Du reste, il est impossible qu'un être dont la nature même est d'être en puissance, soit ordonné essentiellement à deux actes simultanés: en réalité, un tel être aurait à la fois deux natures essentielles; ou bien il faudrait dire dans le cas présent que l'étendue se confond en réalité avec la forme.

Donc la matière première est essentiellement ordonnée à l'acte de la forme substantielle; seulement elle ne peut recevoir une forme qu'à la condition que toute autre forme qui simultanément lui sera donnée, devra nécessairement se trouver dans une autre partie de la matière, la partie de la quantité occupée par le corps résultant de l'union de la matière et de la forme étant nécessairement autre que celle qui est occupée par tout autre corps. En ce sens, on peut dire que le rôle de la forme substantielle est de développer et d'actualiser cette exigence qui se trouve dans la matière première par rapport à la quantité. « Quand une forme substantielle, dit saint Thomas, détermine la matière, de même que la puissance de la matière est réduite à l'acte par la forme, ainsi par ce même être qu'elle en tient, elle reçoit la distinction et la délimitation des parties qui appartiennent au composé corporel. La forme substantielle en effet a le pouvoir non seulement de perfectionner la matière, mais encore de distinguer des parties dans le corps. C'est pourquoi il est nécessaire qu'il y ait dans la matière une puissance répondant à la perfection qu'elle tient de la forme (puissance première et essentielle, comme nous l'avons dit), et à la diversité des parties qui résultent de l'actuation de la forme (puissance

« 上一頁繼續 »