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Avant de clore cette étude déjà longue, jetons un dernier et rapide regard sur les vérités qui en ont fait l'objet, de même que, avant de franchir le seuil d'un édifice parcouru et examiné en détail, on l'embrasse d'un coup d'œil d'ensemble pour en bien saisir les grandes lignes et en admirer la savante harmonie.

Dieu est partout, en tout être et en tout lieu, comme cause immédiate de tout ce qui existe hors de lui; mais il n'habite que dans les justes, auxquels il s'unit d'une façon singulière, comme objet de connaissance et d'amour. Et ce n'est pas seulement par son image, son souvenir, ou ses dons, qu'il est ainsi présent en eux; il y vient lui-même personnellement, inaugurant dès ici-bas cette vie d'union et de jouissance qui doit se consommer au ciel. Si tôt, en effet, qu'une créature jusque là pécheresse rentre en grâce avec son Créateur, celui qui est en Dieu l'Amour subsistant, l'Esprit-Saint, lui est envoyé pour sceller en quelque sorte par sa présence le pacte de la réconciliation, travailler au grand œuvre de sa sanctification, et devenir en elle le principe efficient d'une vie nouvelle, incomparablement supérieure à celle de la nature. Aussi n'est-ce point une visite passagère, si précieuse qu'elle puisse être, qu'il daigne lui faire, mais il vient s'établir dans son âme avec le Père et le Fils, et y fixer sa demeure.

En y entrant il se donne lui-même, et c'est là son grand don. Il s'agit ensuite d'embellir et d'orner le temple vivant où il lui 'plaît de résider. Dans ce but, il y verse cette grâce d'un prix infini qu'on appelle sanctifiante, et qui a pour effet de purifier toute souillure, d'effacer le péché, de justifier, de transformer, de déifier qui la reçoit, d'en faire un enfant de Dieu et l'objet de ses complaisances, avec droit à l'héritage céleste. Ce n'est pas tout, car la grâce ne va jamais seule; toujours elle a pour cortège une foule de vertus et de qualités suréminentes qui sont tout à la fois une parure pour nos puissances et une source d'activité surnaturelle. Ce sont les vertus théologales, la foi, l'espérance et la charité; les vertus morales infuses et les dons du Saint-Esprit : germes féconds des fruits que Dieu veut récolter en nous; énergies divines, source de ces actes excellents qui portent le nom de béatitudes parce qu'ils sont la cause méritoire et une sorte d'avant goût de la félicité que nous espérons.

Ainsi pourvus, nous pouvons aller de l'avant; et, pour nous

acheminer efficacement et sûrement vers les rivages éternels, nous n'avons plus qu'à recevoir cette impulsion de l'Esprit-Saint qui est le partage des enfants de Dieu (1). Elle ne se fait pas attendre. Du fond de l'àme où il réside, ce divin Esprit éclaire notre intelligence, échauffe notre cœur, nous excite et nous pousse au bien. Qui comptera toutes les saintes pensées qu'il suscite, les bons mouvements qu'il provoque, les inspirations salutaires dont il est la source? Pourquoi faut-il que de malheureuses et trop fréquentes résistances viennent paralyser plus ou moins son action bienfaisante et en entraver les effets? C'est ce qui explique pourquoi tant de chrétiens en possession habituelle de la grâce et des énergies divines qui l'accompagnent, demeurent néanmoins si faibles et si lâches dans le service de Dieu, si peu zélés pour leur perfection, si inclinés vers la terre, si oublieux des choses du ciel, si faciles à entraîner au mal. Aussi l'Apôtre nous exhorte-t-il «‹ à ne pas contrister l'Esprit-Saint » par notre infidélité à la grâce : Nolite contristare Spiritum sanctum Dei (2), et surtout « à ne pas l'éteindre dans nos cœurs: >> Spiritum nolite extinguere (3).

Il est une autre cause qui achève d'expliquer pourquoi une semence si abondante de grâces ne produit souvent qu'une si chétive moisson. C'est que, ne connaissant que très imparfaitement le trésor dont ils sont les dépositaires, nombre de gens n'en ont qu'une faible estime et se mettent peu en peine de le faire fructifier. Et pourtant, quelle force, quelle générosité, quel respect d'eux-mêmes, quelle vigilance, et aussi quelle consolation et quelle joie ne leur inspirerait pas cette pensée constamment entretenue et pieusement méditée : l'Esprit-Saint habite dans mon cœur! Il est là, protecteur puissant, toujours prêt à me défendre contre mes ennemis, à me soutenir dans mes combats, à m'assurer la victoire. Ami fidèle, toujours il est disposé à me donner audience, et «< loin d'être une source d'amertume et d'ennui, sa conversation apporte l'allégresse et la joie. » Non enim habet amaritudinem conversatio illius, nec tædium convictus illus, sed lætitiam

(1) « Quicumque enim Spiritu Dei aguntur, ii sunt filii Dei. » Rom., VIII, 14. (2) Ephes., IV, 10.

(3) I Thess., v, 19.

et gaudium (1). Il est là, témoin toujours veillant de mes efforts et de mes sacrifices, comptant, pour les récompenser un jour, chacun de mes pas, suivant toutes mes démarches, n'oubliant rien de ce que je fais pour son amour et sa gloire.

L'Esprit-Saint habite dans mon cœur! Je suis son temple, le temple de la sainteté par essence; il faut donc que je devienne saint moi-même, car le premier caractère de la maison de Dieu, c'est la sainteté. Domum tuam, Domine, decet sanctitudo (2). Je dirai donc avec le Psalmiste, par ma conduite plus encore que par mes paroles « O Seigneur, j'ai aimé la beauté de votre maison, et le lieu où habite votre gloire. » Domine, dilexi decorem domus tuæ, et locum habitationis gloriæ tuæ (3).

Quoi de plus efficace que ces réflexions pour nous déterminer à vivre, suivant la parole de saint Paul, «< d'une manière digne de Dieu, nous efforçant de lui plaire en toutes choses et de porter toutes sortes de fruits de bonnes œuvres ? » Ut ambuletis digne Deo per omnia placentes, in omni opere bono fructificantes (4). Travaillons donc à croître dans la science de Dieu, crescentes in scientia Dei (5), nous appliquant chaque jour à mieux connaître, afin de les apprécier d'avantage, les dons divins. Aimons, honorons, invoquons souvent l'Esprit-Saint, soyons dociles à ses inspirations; et si nous voulons occuper un jour le trône de gloire qui nous a été préparé dans le ciel, commençons par glorifier ici-bas et dans notre âme et dans notre corps cette Trinité sainte dont nous sommes le séjour et le temple. Glorificate et portate Deum in corpore vestro (6).

Fr. BARTHÉLEMY FROGET, O. P.

(1) Sap., vi, 16. (2) Ps., XCII, 5. (3) Ps., XXV, 8.

(4) Col., 1, 10.

(5) Ibid.

(6) I Cor., VI, 2.

DE FRA ANGELICO ET DE SON ŒUVRE

On a écrit une esthétique de Descartes, on a légitimement discerné l'influence cartésienne dans la littérature et dans l'art du grand siècle, aussi bien dans les tragédies très psychologiques de Racine que dans les paysages historiques du Poussin; en se plaçant à des points de vue très divers, M. Em. Krantz et M. Charles Blanc ont formulé les mêmes conclusions. Une étude de l'art dominicain fournirait d'amples éléments à une esthétique de saint Thomas; d'autre part, on pourrait établir l'influence de la doctrine de l'Ange de l'École sur les sculpteurs et les peintres de l'ordre des Frères Prêcheurs. Il s'agit, comme on le pense, d'une influence doctrinale, qui imprime une direction, mais n'enlève à l'article ni son initiative, ni sa puissance, ni sa personnalité.

L'œuvre artistique des Dominicains est aussi variée qu'elle est vaste entre tant de maîtres, choisissons le plus illustre, celui que sa bonne étoile fit naître en Toscane, à l'heure qui est comme l'aube du quattrocento: le peintre de Fiesole.

Celui que l'admiration de ses contemporains, préludant à l'admiration de la postérité, admiration dans laquelle entrait et entre toujours un sentiment de vénération émue, celui que l'admiration de ses contemporains a surnommé le Bienheureux Frère Angélique, il Beato Fra Angelico, s'appelait, en religion, Frère Jean de Fiesole, Fra Giovanni da Fiesole; dans le siècle, Guy, fils de Pierre, Guido di Pietro.

Il naquit en 1387, au centre de la fertile province du Mugello, à l'ombre du robuste château de Vicchio, entre la petite ville de Dicomano et Borgo San Lorenzo, à deux lieues à peine de Vespignano, la patrie de Giotto. Ainsi se trouvaient rapprochés, à plus d'un siècle d'intervalle, l'énergique créateur de la peinture italienne et le doux artiste qui allait devenir, peut-être à son insu, uniquement par la sincérité de son œuvre, le plus attrayant et même le plus ardent novateur de cette transition charmante qui s'affranchit du giottisme si tôt immobilisé et annonce l'épanouissement marqué par l'illustre et malheureux Masaccio.

De l'enfance de Guido di Pietro, on sait encore moins de détails que de sa vie. Guido avait un frère qui fut plus tard Fra Benedetto, sur la fin de ses jours sous-prieur de Saint-Marc; son père, Pietro, possédait quelque avoir, assez pour que Guido, avant d'entrer dans le cloître, eût étudié la peinture et fût déjà praticien.

Pourquoi les artistes d'alors n'ont-ils voulu se faire connaître que par leurs ouvrages? pourquoi n'écrivaient-ils pas? pourquoi n'ont-ils pas écrit sur eux-mêmes? Il est dommage vraiment que Guido di Pietro ne nous ait point dit, en sa noble langue toscane, « comment il devient artiste (1) ». « Quel fut le lieu, quelle l'heure, quel le moment » (2), quels le coup de lumière, la rencontre qui révélèrent à Guido di Pietro cet idéal de beauté qu'il devait poursuivre sans cesse et, comme nul autre, exprimer? Impression. première qui manifeste à l'artiste sa voie propre, qui marque son génie de son empreinte personnelle, empreinte que toute son œuvre portera. Ce ne fut pas, très assurément, en une veillée mortuaire, aux rouges reflets de la flamme d'une torche de résine. Non. Fra Angelico n'eût jamais su peindre la « Condamnation du pape Formose» ou « François de Borgia devant le cercueil ouvert de la reine d'Espagne ». Puisque Guido di Pietro nous a laissés dans le domaine de la conjecture, usons du droit qu'il nous donne, et remontons à ce premier regard de l'adolescent, ce regard de la quinzième année, traduisant au dehors les premières effusions, les premiers ravissements, les premiers enivrements de cette âme

(1) Voir dans le Correspondant l'article de M. J.-P. Laurens : « Comment je devins

artiste. >>>

(2) PETRARCA, sonetto XXXIX.

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