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toutes. Quant à arguer de l'absence totale de toute volonté, même antécédente, Scot ne l'a pas fait, que je sache, et avec raison. L'expérience sur un pareil sujet est des moins probantes. Que de fois nous croyons avoir agi sans intention, alors qu'un peu de réflexion nous découvre à la racine de nos actes des motifs très réels et parfaitement, quoique implicitement, formulés (1).

Le second argument nous arrêtera davantage. Il repose sur une base psychologique indiscutable : le pouvoir abstractif de l'intelligence. Ce pouvoir abstractif peut-il s'étendre jusqu'à modifier à son gré l'objet de notre volonté et lui créer des objets, voilà toute la question.

La réponse serait affirmative si l'objet de notre volonté était l'idée. On conçoit, en effet, que selon les modifications produites par l'abstraction, les idées changeant, la volonté qu'elles spécifient changerait à son tour. Ainsi, à l'idée abstraite du bien pur, qui n'aurait raison ni de fin ni de moyen, bonum absolute, suivrait une volonté parfaitement autonome puisqu'elle serait dégagée de l'engrenage objectif des fins et des moyens. Est-ce possible?

Non, car le moteur propre de ma volonté, ce n'est pas une idée quelconque, ce n'est pas même l'idée du bien absolu, du bien en tant que tel, c'est l'attrait de mon bien reluisant pour ainsi dire dans l'idée qui l'exprime (2). Que chacun s'interroge à nouveau. Il reconnaîtra que c'est à partir du moment où dans une idée il a perçu son bien personnel, que sa volonté s'est sentie émue. Auparavant, l'abstraction pouvait battre son plein, rien ne bougeait. Tels ces discours que l'on écoute avec indifférence lorsque tout à coup une vérité pratique, adaptée à nos désirs intimes, jaillit et se répercute aussitôt sur la volonté en ne faisant que passer par l'intelligence. Vous pouvez déployer toute votre dialectique pour me persuader que l'objet de vos pensées est digne de toute ma sympathie, tant que vous ne l'avez pas mis à ce point de perspective où il m'apparaît comme mon bien, je vous comprends, mais je ne me donne pas. Le bien absolu, tel que l'imagine Scot, ressemble à la perle du fabuliste.

(1) I. IIa, q. I, a. 6. Comment. Cajetani.
(2) I. II, q. vIII, a. 1. Comment. Cajetani.

Je la crois fine, dit-il;

Mais le moindre grain de mil

Ferait bien mieux mon affaire.

Car il n'y a que deux manières pour un bien de m'apparaître comme mon bien : c'est premièrement de se présenter à moi comme ayant une convenance intrinsèque et immédiate avec mes aspirations, mes désirs, et cette convenance me le fera tout aussitôt regarder comme un but digne de mon activité, comme une fin c'est, en second lieu, de m'apparaître comme propre à réa, liser effectivement un but déjà voulu. Pas d'intermédiaire possible, même logiquement parlant (1). Le bien que je veux, je le veux pour sa convenance intrinsèque avec mes appétits et, dans ce cas, il est ma fin, ou je le veux pour sa relation avec un bien qui me convient d'ailleurs, et dans ce cas je le veux comme moyen. Et c'est du reste, si l'on veut bien s'observer attentivement, ce dont l'expérience témoigne.

On objectera l'Altruisme, l'amour désintéressé, l'amour de l'art pour l'art et l'amour platonique. Les mots ont bon caractère : la question est de savoir quelle réalité il y a pour la volonté sous ces mots. Si l'on regarde de près, on ne tardera pas à reconnaître que la cheville ouvrière de toutes ces théories, c'est notre intérêt bien entendu. J'appelle intérêt bien entendu celui qui nous fait préférer à tous les autres les objets qui correspondent à nos aspirations supérieures. Car notre vrai bien, à nous autres hommes, est avant tout le bien rationnel. Tout objet, tout acte qui nous apparaît comme satisfaisant les exigences de notre partie supérieure l'emporte en qualité sur les biens de notre partie animale. Que nous comprenions cette loi, que nous la mettions en pratique, c'est l'amour désintéressé sous toutes ses formes. Mais remarquons bien vis-à-vis de quoi un tel amour est désintéressé. Ce n'est pas de notre bien propre, puisqu'il a pour objet ce bien même sous sa forme la plus élevée : c'est d'une partie seulement de ce bien. Ainsi notre amour-propre justifie seul le sacrifice de l'amourpropre. L'héroïsme lui-même trouve sa raison d'être dans un noble et saint égoïsme. Rien n'échappe, même le martyre, à l'étreinte dominatrice de la fin ultime, du bien qui peut nous parfaire.

(1) I. IIae, q. 1, a. 6.

L'acte neutre est donc une chimère, puisqu'on ne peut lui assigner d'objet. Non seulement la condition de tout fonctionnement de la volonté est dans l'influence objective d'un but dernier, non seulement ce but dernier est unique pour tout ensemble de vouloirs liés, mais de plus, à tout degré du vouloir, l'influence de la fin ultime se fait sentir; toute notre vie volontaire, pour un moment donné, est ordonnée par rapport à notre bien propre. Les groupements volontaires se succèdent et ne se ressemblent pas seul, ce centre d'attraction demeure: il est l'unité spécifique de l'ACTION. Or, cette unité organisatrice, ne l'oublions pas, l'examen psychologique nous la présente comme une unité objective, comme un objet qui exerce du dehors de notre subjectivité son influence sur

nous.

Que peut être en lui-même cet objet qui cause tous mes mouvements, auquel toute mon activité est comme suspendue? Est-il même quelque chose en lui-même, un être caractérisé, individualisé, non seulement toujours le même pour moi, mais toujours identique et permanent en soi?

Je suis en présence d'un aimant mystérieux. Je constate qu'il m'attire et j'entreprends de déterminer la cause de ce qui m'arrive, de trouver ce qui différencie intérieurement ce fer aimanté du fer ordinaire.

A qui m'adresser pour résoudre la question? A qui, sinon une fois de plus encore à ma volonté immanente? C'est elle le réactif spécial dont les phénomènes m'ont d'abord mis en éveil, puis m'ont découvert les lois de l'attrait qui m'envahissait. C'est elle qui, après m'avoir mis sur la route, m'a dévoilé dans toute sa pureté la nature d'un objet de volonté, sa puissance dominatrice, ses divers modes d'influence. C'est d'elle, d'elle seule, que je veux maintenant essayer d'extraire pour ainsi dire les caractères définitifs de MON DERNIER OBJET : si je dois trouver Dieu, à la fin de mes recherches, pourquoi ne m'apparaîtrait-il pas comme exigé par la nature et le fonctionnement de ma volonté?

(A suivre.)

Fr. A. GARDEIL, O. P.

DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT

DANS LES AMES JUSTES

D'APRÈS LA DOCTRINE DE SAINT THOMAS D'AQUIN

NEUVIÈME ET DERNIER ARTICLE

EFFETS DE L'HABITATION DU SAINT-ESPRIT (Suite)

Les vertus infuses. Les dons du Saint-Esprit. - Les fruits et les béatitudes.

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IV

Avec la grâce et les vertus chrétiennes, l'Esprit-Saint apporte encore dans l'âme où il vient fixer sa demeure les dons divers qui portent son nom, le « septénaire sacré », comme s'exprime l'Église, sacrum septenarium. Que faut-il entendre par ces dons? Quel est leur rôle, leur fonction, leur but, dans la vie surnaturelle ? Sont-ils réellement distincts des vertus infuses, et faut-il les considérer comme nécessaires au salut? Autant de questions qui sollicitent une réponse.

Et d'abord, quelle est au juste la nature des dons du SaintEsprit? Ce sont, avant tout, des bienfaits gratuits, comme l'indique le nom de dons : appellation qui leur est commune avec les autres biens de la grâce. Mais ce terme générique a reçu dans le langage chrétien une signification spéciale, un sens parfaitement déterminé et restreint à certaines perfections très relevées que Dieu communique gratuitement à l'âme juste dans le but de la rendre souple et docile à ses inspirations (1).

Comme la grâce sanctifiante, comme les vertus infuses avec lesquelles ils présentent beaucoup d'analogies, les dons sont des habitudes, des dispositions au bien qui existent en nous à l'état de qualités fixes et permanentes. Ce ne sont donc pas des actes, mais des principes d'opération: ce ne sont pas davantage des motions surnaturelles, des secours passagers de la grâce destinés à mettre en jeu nos facultés, mais bien des qualités, des forces conférées à l'âme en vue de certaines opérations surnaturelles.

L'Écriture elle-même, parlant de ces dons, nous les représente comme existant d'une manière stable, comme reposant dans le juste. Isaïe dit du Verbe fait chair : « L'esprit du Seigneur se reposera sur lui: l'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de science et de piété; et l'esprit de crainte du Seigneur le remplira (2). » Et les docteurs ont appliqué ces paroles aux membres vivants du corps mystique de Notre-Seigneur, qui doivent participer aux privilèges de leur chef. Saint Grégoire le Grand nous dit également que « par les dons, sans lesquels on ne peut arriver à la vie, l'Esprit-Saint réside d'une façon stable dans les élus, tandis que par la phophétie, le don des miracles et autres grâces gratuites, il ne s'établit pas à demeure en ceux auxquels il les communique. » In his igitur donis, sine quibus ad vitam perveniri non potest, Spiritus Sanctus in electis omnibus semper manet; sed in aliis non semper manet (3). On pourrait, avec l'Angélique Docteur,

(1) a Istæ perfectiones vocantur dona, non solum quia infunduntur a Deo, sed quia secundum ea homo disponitur ut efficiatur prompte mobilis ab inspiratione divina. » S. Th., Ia IIae, q. LXVIII, a. 1.

(2)« Et requiescet super eum Spiritus Domini: spiritus sapientiæ et intellectus, spiritus consilii et fortitudinis, spiritus scientia et pietatis; et replebit eum spiritus timoris Domini. » Is., x1, 2-3.

(3) S. GREG. M., 1. II Moral., cap. xxvIII.

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