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Sévigné, de Bossuet, de Fénelon, la langue de la cour, la langue de son temps, celle qui écrit au maréchal de Bellefonds. C'est pour celle-là que je réclame parmi les femmes littéraires du grand siècle une place qu'on ne lui a pas donnée jusqu'à présent. Il semble que la modestie de mademoiselle de La Vallière lui ait fait tort jusqu'au bout, et qu'on n'ait pas voulu s'occuper d'une personne qui songeait si peu à elle-même. Raison de plus pour que les esprits délicats se plaisent à relire ces plaintes si tendrement exprimées, ces prières ferventes d'un grand cœur qui s'est donné tout à Dieu.

Janvier 1861.

LE RATIONALISME CHRÉTIEN'.

Je suis fort en retard avec M. l'abbé de Cassan, mais le sujet qu'il traite est de ceux qui ne vieillissent pas; on y peut toujours revenir. L'accord de la foi et de la raison est un de ces éternels problèmes qui défient l'esprit humain, et qui cependant l'attirent par un charme invincible; aussi ne faut-il pas s'étonner si malgré tant d'efforts trompés, les plus grands philosophes, comme les plus grands théologiens du dixseptième siècle, un Leibnitz, un Bossuet, un Fénelon, n'ont jamais renoncé à l'espoir de concilier la science et l'Évangile. De nos jours, il n'en est plus ainsi; au lieu d'embrasser la question dans son ensemble, on croit trancher la difficulté en niant un des deux termes du problème. Les philosophes et les savants, ceux du moins que dans le camp opposé on nomme les rationalistes, n'admettent pas qu'une intervention divine puisse jamais troubler la régularité nécessaire des lois naturelles, par conséquent ils écartent la révélation. D'un autre côté, il ne manque pas de catholiques qui par crainte de la science, et par défiance de la raison, ferment volontairement les yeux sur les vérités les plus évidentes, et se font sceptiques par dévotion. Ils s'inti

1. Le Rationalisme devant la raison, par M. l'abbé de Cassan-Floyrac.

tulent traditionalistes, et se regardent comme les seuls vrais catholiques; nom mal choisi, prétention peu fondée, car ils ne représentent ni l'Église ni la tradition. Les Pères des premiers âges, les théologiens les plus fameux ont été philosophes. Origène, saint Basile, saint Augustin, saint Thomas, Bossuet, Fénelon, Malebranche, loin d'avoir peur de la raison, s'en sont servis pour conduire l'homme à la foi. Depuis ces grands hommes que l'Église a toujours honorés comme ses plus fermes défenseurs, ni l'humanité ni le christianisme n'ont changé; sans doute on a rencontré des objections nouvelles, des difficultés inattendues, c'est l'histoire de toutes les études qui ont Dieu et l'homme pour objet; elles ne s'achèvent pas sur la terre; mais le problème est resté tout entier; le mutiler n'est point le résoudre. Chercher une solution qui réponde aux idées et aux besoins du temps, c'est aujourd'hui l'œuvre la plus utile et la plus considérable que puisse se proposer un ami de la religion; c'est ce qu'a essayé M. l'abbé de Cassan.

A en juger par son livre, l'auteur est un esprit judicieux et sincère, un chrétien convaincu, un prêtre instruit et modeste, qui ne renie pas son siècle, qui ne maudit point ceux qui pensent autrement que lui. S'il était permis d'employer le mot de parti ou d'école pour désigner l'effort commun d'hommes qui, sans se concerter, défendent librement une même cause, je dirais que M. de Cassan appartient à cette école nouvelle qui essaye de défendre le catholicisme avec les armes de la science, et qui remplace l'anathème par la discussion. M. l'abbé Maret, le P. Lacordaire, le P. Gratry, l'abbé

Cruice, l'abbé Cognat, et, parmi les laïques, M. de Montalembert, M. de Falloux, le prince de Broglie, M. Wallon, appartiennent à ce parti de volontaires qui combat pour l'Église sans l'engager. C'est là que M. de Cassan a sa place marquée, et une place honorable. A la sûreté de ses doctrines, à la netteté de ses idées, à la franchise de son langage, on dirait un membre de notre vieux clergé, quelque disciple de Thomassin ou de Bergier. Quand on lit les modernes défenseurs du catholicisme, on est frappé de leur indécision et de leur timidité; ils n'avancent qu'en regardant derrière eux. On dirait que leur religion consiste à ne jamais s'écarter des idées romaines alors même que le dogme n'est pas en jeu ; pour eux, ce qui fait la limite entre la raison et la foi, ce n'est plus le symbole, mais un décret de l'Index. Il n'en était pas ainsi dans cette Église gallicane qu'on a tort d'oublier; on y connaissait si bien les docteurs et les Pères, on y avait des convictions si raisonnées et si fortes, qu'on ne se laissait jamais enchaîner par de vaines terreurs; on savait toujours ce qu'on croyait. Si l'on n'avait pas pour Rome et ses congrégations cette déférence craintive qui est d'un étranger plus que d'un fils, en revanche on tenait du fond des entrailles au siége de la catholicité, on avait un respect sincère, un amour éclairé pour le successeur de saint Pierre; en d'autres termes, on était tout à la fois plus chrétien et plus hardi. M. de Cassan est un élève de cette grande école, il en a pieusement gardé la tradition.

Placé entre deux sortes d'adversaires, les uns qui s'imaginent qu'on peut remplacer la raison par la foi,

les autres qui enferment Dieu dans la fatalité des lois physiques, M. de Cassan combat ces deux partis avec leurs propres armes; aux traditionalistes il oppose la doctrine constante de l'Église, il appelle les rationalistes sur le terrain de la philosophie et de la libre discussion. C'est au nom même de la raison qu'il demande comment on peut reconnaître en Dieu une puissance et une bonté infinies, et cependant l'enchaîner à l'inflexible nécessité de la nature en lui refusant le droit de parler au cœur de l'homme et de nous élever à lui par le bienfait d'une révélation.

La discussion avec les rationalistes est le fond même du livre; cette discussion est habilement menée; on y reconnaît un esprit rompu aux études philosophiques; il y a de belles pages sur Dieu et l'infini de ses attributs. Néanmoins ce n'est pas sur cette partie de l'ouvrage que j'insisterai, d'abord parce qu'il est difficile d'abréger des raisonnements dont le tissu est aussi serré, ensuite parce que la question de la révélation me semble du domaine de l'histoire beaucoup plus que de celui de la pure spéculation. La philosophie ne s'occupe que de l'homme intérieur et des phénomènes dont l'âme humaine est le théâtre, en tout temps et en tout pays; le christianisme, au contraire, est un événement, un fait extérieur qui a sa date et son caractère historique. Nier à priori la possibilité de la révélation me semble chimérique; nous ne savons de Dieu que ce qu'il nous laisse voir de sa puissance; il y a un infini de choses possibles dont nous n'avons même pas l'idée. Établir théoriquement la nécessité d'une révélation ne me paraît pas

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