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M. Ranke? C'est ce qu'a entrepris M. le prince de Broglie avec un talent remarquable; c'est ce que M. de Montalembert vient d'essayer dans ses Moines d'Occident. Le premier chapitre de ce dernier ouvrage, celui qui traite de l'Empire romain après la paix de l'Église, me paraît un modèle. M. de Montalembert y montre pièces en main que cette fameuse alliance du sacerdoce et de l'Empire, d'où l'on date le triomphe du christianisme, n'a empêché ni la ruine de l'ancien monde ni la servitude et le déchirement de l'Église. Il est beau, chez un catholique, de rompre aussi nettement avec un préjugé séculaire qui a fait plus de mal à la religion que toutes les attaques et toutes les persécutions de ses ennemis. Se maintenir en ces hauteurs sereines où n'atteignent pas les passions de la foule, faire taire son propre cœur pour n'écouter que la justice, ce n'est pas une œuvre aisée ni d'un esprit ordinaire; mais de pareils efforts ont leur prix en eux-mêmes. Entrevoir la vérité au travers du nuage qui nous la voile, c'est la plus pure et la plus vive jouissance qui soit donnée ici-bas à une âme humaine. Celui qui l'a goûtée est pour jamais audessus des partis et de leurs injures. Il peut souffrir sans se plaindre jusqu'à l'ingratitude de ceux qu'il défend. Sa récompense est plus haut.

Parlerai-je encore de la critique sacrée dont le rôle grandit chaque jour? Le courant des idées parti d'Allemagne gagne l'Angleterre et la France; de toutes parts des esprits indépendants, religieux ou sceptiques, remuent les premiers monuments du judaïsme et du christianisme pour en tirer la vérité. Qui connaît les

noms et les écrits de Neander, de Gieseler, de Dorner, de Hase, d'Ewald, de Baur, de Bunsen; qui a lu le travail de M. Jowett ou de celui de M. Stanley sur les Épîtres de saint Paul, la Palestine de M. Munck, les recherches de M. Nicolas de Montauban sur les doctrines religieuses des Juifs, et sur la Bible, les écrits de M. Renan, l'Histoire de la Théologie chrétienne au temps des apôtres, par M. Reuss, l'Histoire de l'Église, par M. de Pressensé, sentira que le renouvellement des études religieuses a commencé. Il y a là un mouvement mêlé d'éléments divers, mais qui a ceci de remarquable qu'il apporte avec lui une méthode nouvelle : la vérité pour la vérité. On peut attaquer les erreurs, les préjugés, les passions de tel ou tel critique; mais la méthode même, on ne l'ébranlera pas. C'est elle qui depuis trois siècles a émancipé et régénéré toutes les sciences; le christianisme ne pouvait échapper à cette enquête universelle. La crainte de porter une main profane sur les choses sacrées, les haines religieuses, l'incrédulité ont pu retarder ou détourner la crise, mais non pas la dissiper. Aujourd'hui la critique interroge la Bible jusque dans ses premières origines. Sans colère comme sans faiblesse, elle regarde la religion en face, non-seulement comme une satisfaction donnée au besoin d'infini qui nous tourmente, mais aussi comme un fait historique, et de ce fait historique la critique veut avoir et elle aura le dernier mot.

A ce flot qui monte qu'oppose-t-on? L'ancienne apologétique? Elle répond à des objections qui ont fait leur temps; le danger n'est plus là. Contre des attaques

nouvelles il faut de nouvelles défenses. Si la critique a raison, il faut la suivre; si elle a tort, c'est avec ses propres méthodes qu'il faut la confondre. De toutes façons il faut s'armer.

Est-ce là une situation sans exemple dans le passé? Non, et d'ordinaire ces épreuves, si terribles au premier abord, ont amené un nouvel épanouissement du christianisme. L'Église s'est trouvée dans un état analogue quand Luther a paru; mais après le premier étonnement de la Réforme, elle est courageusement rentrée sur le terrain qu'elle avait perdu; il y a eu au dix-septième siècle ce que j'appellerai un retour offensif qui a remis le catholicisme à son rang dans la science. Quel théologien plus instruit et plus sincère que Petau? quel historien plus impartial que Tillemont? quels critiques plus sévères que Mabillon et Baluze? quels philosophes plus éclairés que Bossuet et Fénelon? Dans la controverse de Leibnitz et de Bossuet, dont M. Foucher de Careil vient de publier les pièces, on sent qu'il y a entre la croyance des catholiques et celle des protestants un abîme que le génie de deux grands hommes ne comblera pas; mais les deux adversaires sont de taille; Bossuet tient tête à la critique allemande avec l'énergie d'un lion blessé. Voilà l'esprit qu'il faut rallumer. Le catholicisme est puissant; il répond à un invincible besoin du cœur humain, le besoin d'ordre et d'autorité. Loin que l'Église ait à craindre ces études qui nous reportent aux premiers jours du christianisme, je crois qu'elle y trouvera des preuves nouvelles à l'appui de ses antiques traditions; mais il lui faut accepter la science,

ses découvertes et ses méthodes. Qu'elle entre dans le courant, si elle veut le diriger. Qu'elle n'oublie pas que s'il y a des cultes qui durent par la seule autorité du temps, par l'empire de l'habitude et de l'éducation, il n'y a cependant de religion vivante que celle qui, en satisfaisant l'intelligence autant que le cœur, s'empare de la volonté et possède l'homme tout entier.

Me voilà bien loin de M. de Cassan, mais en apparence seulement; ces réflexions m'ont fait oublier le livre, elles m'ont fait penser à l'auteur. S'il faut à l'Église des défenseurs qui à une foi ardente et sûre joignent un esprit droit, l'horreur du sophisme et l'amour de la vérité, des orateurs et des écrivains qui combattent l'erreur en respectant celui qui s'égare, il me semble que M. de Cassan peut servir l'Église de sa parole et de sa plume; il y a en lui l'étoffe d'un théologien.

Octobre 1860.

LES MOINES D'OCCIDENT,

DEPUIS SAINT BENOÎT JUSQU'A SAINT BERNARD,

PAR M. DE MONTALEMBERT.

<<< Il n'est âme si revesche qui ne se sente touchée de quelque révérence à considérer cette vastité sombre « de nos églises, la diversité d'ornements et ordre de « nos cérémonies, et ouïr le son dévotieux de nos or«<gues, et l'harmonie si posée et religieuse de nos voix; «< ceux-mesmes qui y entrent avec mespris sentent << quelque frisson dans le cœur et quelque horreur qui «<les met en desfiance de leur opinion'. >>

Qui donc exprime avec tant de grâce et de justesse un sentiment si vrai? C'est un homme qu'on ne soupçonne guère d'enthousiasme, le sceptique Montaigne. Si cet esprit nonchalant, qui s'amusait à douter de toutes choses, n'a pu se défendre de quelque frisson en entrant sous ces voûtes sombres, où le silence nous parle de Dieu et des générations évanouies, que doit ressentir une âme religieuse qui s'abandonne à l'émotion? Je plains celui qui ne voit qu'un monument de

1. Montaigne, Essais, II, ch. xII; édit. Leclerc. Paris, 1844, t. II, page 264.

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