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contribué à augmenter l'intercourse, on commence à avoir en France quelque idée de l'Angleterre et des Anglais, de leurs mœurs, de leurs sports, de leurs Quakers, de leur littérature, de leur théâtre; on a entendu parler de Jonson, d'Otway, de Vanburgh et de la marquise de Newcastle; mais que dit-on et que sait-on de Shakespeare ?-car il ne faut pas oublier que les Lettres sur les Anglais et les Français, de Muralt, bien qu'écrites en 1694-95, parurent seulement trente ans plus tard, en 1725.

Sans qu'on l'ait remarqué, à l'insu de tous, le grand homme a passé la Manche; déjà il est au cœur de la place: un exemplaire du deuxième folio figure à côté des oeuvres de Racine et de Corneille dans la bibliothèque du Roi-Soleil. Nous le savons, parce que l'exemplaire, que la Bibliothèque Nationale possède encore, a été compris par Nicolas Clément, bibliothécaire royal, dans son premier catalogue méthodique des imprimés, commencé en 1675, et fini en 1684. La fiche originale que j'ai signalée autrefois* contient, outre le titre de l'ouvrage, une appréciation du génie de l'auteur: quelque éclaircissement sur un personnage si peu connu ayant paru indispensable. La fiche est ainsi rédigée :

"WILL. SHAKESPEARE

Poeta anglicus

"Opera poetica, continentia tragoedias, comoedias et historiolas. Angle, Lond. Th. Cotes, 1632, fo.

"Eædem Tragoedia et comœdiæ anglica. Lond. W. Leake 1641, 4°

"Ce poète anglais a l'imagination assez belle, il pense naturellement, il s'exprime avec finesse; mais ces belles qualités sont obscurcies par les ordures qu'il mêle dans ses comédies."

Tel est le plus ancien jugement porté en français sur Shakespeare. On n'y sent pas beaucoup d'enthousiasme; mais enfin, voici un jugement écrit, et voici une bibliothèque où l'on trouve les œuvres du maître.

* Revue critique, 14 novembre 1887.

† Ce deuxième volume ne contient pas les œuvres de Shakespeare. J'ai montré (Rev. crit., ibid.) qu'il s'agit d'un recueil factice renfermant diverses pièces par Beaumont et Fletcher.

Une autre bibliothèque française, où se trouvait à cette époque un Shakespeare est celle de Fouquet. Dans l'Inventaire... des livres trouvés à St-Mandé

Bien des années passeront encore avant que nous rencontrions un jugement imprimé. La première fois que Shakespeare fut nommé dans un livre français, son nom figura sans plus parmi les auteurs célèbres de son pays, et le fait attira si peu l'attention qu'on continua bien plus tard à publier des listes où on pouvait bien trouver "Cassibelane" mais non pas l'auteur d'Hamlet. On a longtemps cru que ce premier livre était la traduction de l'ouvrage de Collier: la Critique du Théâtre anglais, 1715, (où il est imprimé Chacsper). Tout récemment M. Texte a montré que Shakespeare était nommé dans la traduction des œuvres mêlées de Temple, Utrecht, 1693. Mais tous ces livres ont eu, sans qu'on l'ait encore observé, à tout le moins, un devancier : le nom de Shakespeare figure en effet dans les Jugements des Savants de Baillet, imprimés à Paris en 1685-86. Au tome II de cet ouvrage, un paragraphe est réservé aux "Poètes anglais " et l'auteur s'exprime ainsi : "Si nous finissons par les Anglais, c'est uniquement pour suivre l'ordre des géographes qui mettent les îles après le continent, car on ne peut pas dire que cette nation soit inférieure, même pour la poésie, à plusieurs de celles du Nord. Les principaux poètes des îles britanniques en langue vulgaire, selon les auteurs que j'ai déjà cités sont Abraham Cowley, John Downe ou Jean Donne, Cleveland, Edmond Woller, Jean Denham, George Herbert, le chancelier Bacon, Shakespeare, Fletcher, Beaumont, Ben Jonson, Suckling, Jean Milton, etc."

Voilà donc le nom imprimé pour la première fois. Les premiers jugements imprimés sont moins étendus et moins précis encore que celui de Nicolas Clément; on ne parle évidemment du grand homme que par ouï-dire. Dans les "Dialogues familiers" joints à sa Grammaire,* Boyer fait dire à un interlocuteur anglais : Nous avons un Pindare et un Horace en Cowley et en Oldham, un Térence en Ben Jonson, un Sophocle et un Euripide en Shakespeare, un Homère et un Virgile en Milton, et presque tous les poètes en Dryden

appartennant ci-devant à Monsieur Fouquet, 1665, figurent les " comédies de Jazon," i.c. Jonson, estimées à trois livres de France et "Shakespeares comédies angloises," estimées à une livre seulement.

* Quérard cite une édition de cette Grammaire de 1700; elle n'est ni à la Nationale, ni au British Museum, ni à la Bodléïenne. J'ai suivi l'édition d'Amsterdam, 1718: Nouvelle Double Grammaire (par Miège et Boyer).

seul."

Boyer était évidemment de l'avis de cet Anglais à qui appartint l'exemplaire du premier folio de Shakespeare, conservé aujourd'hui à la Bibliothèque Nationale et qui a écrit à la main en face du titre de la Tempête ce naïf jugement : “Better in Dryden." Le Journal des Savants qui nomme en 1710 Shakees Pear, lui avait consacré une ligne sous son vrai nom en 1708 et avait déclaré que "Shakspear" était "le plus fameux des poètes anglais pour le tragique."

Tel est le bilan de tout un règne deux ou trois jugements sommaires, rédigés en formules vagues, et dont le principal demeure caché parmi les fiches de la Bibliothèque Royale; le nom de Shakespeare imprimé par hasard dans deux ou trois livres où personne ne le remarque; rien de plus.

Cependant l'art tragique français, après la période incomparable qu'il devait à Corneille, Racine et Molière et qui venait de finir (avec Athalie, 1691), penchait vers son déclin. Pénétrés d'admiration pour ces grands hommes, leurs successeurs croyaient pouvoir leur arracher leur secret; ils les étudiaient attentivement et composaient des tragédies comme on apprête un plat d'après la bonne recette. L'important pour eux était la formule; ils étaient intraitables sur les règles, renchérissant au besoin sur leurs maîtres, ne se doutant pas du peu de mérite qu'ils avaient à retenir ainsi les écarts et modérer les élans de leur génie. Leur Pégase docile ne demandait, hélas ! qu'à baisser la tête et à suivre les routes tracées; il n'y avait nul danger qu'il s'élançât du sol et se perdit dans le ciel; un bruit d'alexandrins monotones, un tintement de sonnettes, avertissait suffisamment que l'auteur bien assis sur sa monture pacifique, ne sortirait pas du droit chemin. Dormons tranquilles! nous trouverons au réveil toutes choses en état ; les convenances n'auront été blessées par personne et la pudeur des règles n'aura pas reçu la moindre. atteinte. "J'ai donné à mon héroïne, écrit Brueys, le nom de Gabinie, que j'ai tiré de celui de son père, parce qu'il m'a semblé que celui de Susanne que l'histoire de nos saints martyrs lui donne, n'avait pas assez de noblesse pour le théâtre."* Dormons tranquilles !

Gabinie, tragédie chrétienne, représentée pour la première fois le 2 avril 1699 (imitée d'une tragédie latine d'A. Jourdain, intitulée Susanna).

Un changement pourtant se prépare et il sera gros de conséquences pour notre littérature. Des voyageurs de plus en plus illustres abordent en Angleterre, non sans profit; ils se nomment l'abbé Prévost, Montesquieu et Voltaire; en 1734 ce dernier va publier ses fameuses Lettres philosophiques ou Lettres sur les Anglais.

J. J. JUSSERAND.

(A suivre.)

A TRAVERS LALLEMAGNE

VINGT ANS APRÈS.

3 août.-De Paris à Heidelberg.

JE vais à Bayreuth, naturellement. Mais ce n'est pas seulement l'Anneau du Nibelung qui m'attire, cet anneau fatal dont la puissance fait le noeud de la colossale tétralogie de Wagner; je ne suis pas seulement poussé par le désir de savoir si je retrouverai en 1896 les indicibles émotions de 1876; je suis curieux aussi de revoir de près cette Allemagne où je n'ai pas séjourné depuis 1876, et que je ne connais plus que par ses livres, ses journaux et mes relations personnelles avec ses savants et ses étudiants, ou par l'impression qu'y ont recueillie mes amis et mes élèves.

Je ne fais que traverser l'Alsace, cette province française de population germanique, à laquelle j'appartiens par la moitié de mon âme, celle qui me vient de ma mère. L'angoisse qui me saisit chaque fois que je touche ce lambeau douloureux et sacré de la patrie est faite de sentiments bien divers. Ce ne sont pas seulement mes souffrances personnelles, celles de mes parents, de mes amis, des Alsaciens en général, qui causent mon malaise, ni le souvenir de la funeste guerre de 1870, ni la pensée de la blessure que mon pays porte depuis lors à son flanc. A ces douleurs personnelles se mêlent des émotions d'une nature plus générale et plus désintéressée. Je me rappelle qu'en 1867, lorsque j'ai fait pour la première fois cette route de Strasbourg à Heidelberg, j'éprouvais, en franchissant le Rhin, un sentiment de tendre et pieux enthousiasme. Le Rhin était pour moi,

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