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ANGLAISE, COMPARÉE A LA Nôtre.—de la SATIRE

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Venise est la patrie de la mollesse et de l'oisiveté: la chaleur du climat, le vent, appelé sirocco, qui règne tout l'été, abattent et affaiblissent. On tombe dans l'apathie. Ces palais majestueux dont les habitans, déchus de leur grandeur passée, ne sont plus que les ombres des anciens nobles Vénitiens; les gondoles qui glissent mystérieusement sur les canaux ; cette population qui se meut sans bruit

tout réduit l'existence à un demi sommeil. La contagion des mauvaises habitudes, des mauvaises mœurs, de l'indolence et de la volupté, y est insensible et rapide. L'air qu'on respire est empoisonné ; les exemples qui se multiplient sous les

yeux sont corrupteurs. Tout invite au plaisir : tout assiège l'âme. Il n'y a d'activité a d'activité que dans les passions. Pressé de toutes parts par cette pernicieuse influence, lord Byron ne put s'y soustraire : il s'opéra en lui un changement très remarquable. Il avait vu la vie de son côté sévère et désolant ; toutà-coup, elle lui apparut sous un autre aspect. Ce n'était pas qu'il trouvât la vertu plus commune, les hommes plus estimables; mais il sembla se reprocher d'avoir pris au sérieux ce qui n'était que ridicule il se mit à étudier le côté plaisant des caractères et des événemens; et il trouva partout des sujets d'ironie. Il conçut alors le projet d'écrire Don Juan, et débuta dans le genre burlesque, par Beppo, critique très spirituelle des mœurs vénitiennes. Cependant il ne faudrait pas juger cette production d'après le goût français.

La plaisanterie anglaise diffère essentiellement de la nôtre: tout-à-fait bouffonne, ou satirique avec amertume, elle atteint rarement un juste milieu. C'est surtout dans le comique d'une nation qu'on retrouve l'influence de la société, et cette influence est infiniment moins grande en Angleterre qu'en France. Aussi l'esprit anglais est-il moins fin, moins aiguisé, moins pénétrant que le nôtre : sa plaisanterie est lourde, ou acérée comme un poignard. Les Anglais ont cependant un genre de gaîté à eux qu'ils nomment humour, et dont nous n'aurons jamais qu'une idée fort incomplète, parce

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qu'elle consiste dans des observations piquantes rendues avec une sorte de verve, et un bonheur d'expressions qu'on ne pourrait reproduire en français. Il en est de même du charmant esprit de Lafontaine, de Molière, de l'ironie piquante de Piron les mots les plus spirituels de ce dernier deviennent nuls et insignifians dès qu'on essaie de les traduire. J'en ai quelquefois vu cités en anglais dont tout le sel s'était évaporé: on n'y retrouvait rien, absolument rien. Cela se conçoit facilement des jeux de mots, des calembourgs, des équivoques; mais on a peine à comprendre que les idées ne puissent se rendre dans toutes les langues; l'expérience prouve le contraire.

Les sources du comique sont si variées, l'effet en est si incertain, si fugitif, qu'il est impossible de les définir d'une manière précise. Je crois pourtant qu'on peut distinguer dans la haute comédie deux genres de gaîté, celle de l'esprit et celle du génie Regnard avait l'une, Molière possédait l'autre au suprême degré. La première naît d'une observation fine des ridicules de la vanité, ou de la société du jour exprimée avec une spirituelle ironie, et par un tour neuf et plaisant. Le dialogue est vif, semé de mots heureux : l'observateur est toujours en scène. Il peint ce qu'il a vu en y mettant son empreinte satirique. La seconde, fondée sur une connaissance approfondie du cœur humain, traduit la nature avec naïveté. Après avoir préparé

les voies à ses personnages, l'auteur semble les livrer à eux-mêmes et disparaître entièrement. Tout ce qu'ils disent alors est nécessaire à l'action, et comme la suite naturelle de ce qui a précédé. Les phrases sont simples, les mots sont ordinaires, mais si bien amenés, si fort en harmonie avec la situation, qu'ils produisent beaucoup plus d'effet que les saillies les plus vives: tout se passe de même que dans la vie réelle, peut-être un peu plus fortement accentué, et le spectateur tire les conclusions des faits qu'on lui présente.

Les Anglais, plus souvent en présence d'euxmêmes que les Français, les Français, étudient plus le dedans que le dehors; aussi n'ont-ils point d'adresse pour mettre leurs personnages en scène. Ils les analysent comme un instrument dont on expliquerait le mécanisme, au lieu d'en faire entendre les sons. Cette anatomie est mortelle à la gaîté: elle ne peut point produire des êtres vrais et vivans. Ils sont, en général, peu sensibles aux charmes de la haute comédie. Ils préfèrent la plaisanterie forte, et quelquefois grossière, de leurs farces, car c'est le nom qu'ils donnent à la plupart de leurs petites pièces populaires, à l'esprit fin et brillant de Sheridan dans l'École du Scandale.

Cependant Shakespeare, à force d'observer la nature, y a puisé d'admirables inspirations. Le caractère de Falstaff, le plus spirituel et le plus gai des bons vivans, est un chef-d'œuvre. Celui de Béa

trice, dans Much ado about nothing, a une verve de jeunesse, de folie et de malice, à laquelle nous n'avons rien de comparable. La gaîté amère et triste du fou du roi Léar est une autre conception sublime. Quant aux ignobles bouffonneries que nous reprochons en France à Shakespeare, on sait que la plupart étaient introduites dans ses pièces par des acteurs qui se hasardaient à improviser en style des halles : quand le public, dont le goût était encore peu formé, applaudissait à ces parades, on les conservait. Les commentateurs ont essayé de les reconnaître et de les désigner par quelques guillemets, dans plusieurs éditions; mais il est bien difficile d'assigner d'une manière précise, leur commencement et leur fin, parce que Shakespeare qui était à-la-fois acteur et poète, ayant doublement besoin de la faveur du parterre, cherchait à se la concilier par les plaisanteries alors à la mode. Du reste, ce que j'ai dit du comique des Anglais ne peut s'appliquer à ce grand homme qui, dans ses belles productions n'écrit pas pour l'Angleterre, mais pour le monde entier son génie n'a point l'empreinte ou le vernis de son siècle quoique ses expressions l'aient quelquefois.

Parmi les romans anglais qui prétendent à la gaité, il faut citer d'abord Tom Jones, critique de mœurs vraie faite avec beaucoup d'observation et de finesse, et dont l'intrigue est un chef

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