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port de la puissance que j'ai prétendu les comparer, quoique le règne de la pensée soit plus durable que celui des bayonnettes, des prestiges, et des séductions; mais tous deux s'isolaient de la foule par leurs immenses facultés; tous deux planaient sur le monde, l'un pour en faire sa proie, l'autre pour y chercher de grands souvenirs, et pour faire revivre d'antiques vertus.

Napoléon a tiré parti de tous les élémens d'indépendance qu'il a trouvés dans la nation française, pour en organiser le système le plus complet de despotisme. Byron s'est joint à une poignée d'hommes pour faire triompher la plus belle des causes. Celui qui avait été maître de l'Europe, redevenu grand à force de malheurs, est mort captif, isolé, sur un rocher stérile. Le poète aussi est tombé, mais au milieu d'un peuple régénéré dont il était l'idole; d'heureuses visions d'avenir ont réjoui son âme. Précurseur de la véritable gloire, il a brillé comme l'étoile qui précède le jour; de sa poussière naîtront des héros, et le sol même sous lequel il repose s'enflammera pour la liberté.

Dans notre vieille Europe, qui semblait épuisée pour les grandes choses, une nation oubliée, avilie, se réveille tout-à-coup, et dès ses premiers pas, s'élève à la hauteur du plus sublime héroïsme. Ni son dévoûment, ni son courage, ne peuvent fléchir la froide et sinistre politique des gouvernemens, mais ils ont éveillé la sympathie des âmes

généreuses. Lord Byron qui avait pleuré sur la Grèce, salua le premier l'aurore de sa liberté; il vit s'accomplir le rêve chéri de son imagination. Jusque-là, il n'avait rencontré que des ambitieux et des esclaves; dans les Grecs, il trouva des hommes; il leur consacra son génie, sa fortune, sa vie: qui oserait dire encore qu'il ne sentait pas la vertu ?

Peu de personnes ont été jugées plus diversement que lord Byron. Les circonstances de sa vie aventureuse, ses chagrins domestiques, prêtaient aux conjectures; aussi la calomnie ne lui fut-elle point épargnée. On l'accusa tour-àtour d'égoïsme, de misanthropie, d'affectation, de dûreté d'âme, ou d'une sensibilité qui allait quelquefois jusqu'au délire. Les contes les plus absurdes furent accueillis et répétés dans la première société de Londres, où le commérage s'ennoblit par de grands noms. On désapprouva hautement le noble poète; tous les hypocrites de vertu se déchaînèrent contre son immoralité; son génie put à peine le sauver d'un anathème général.

Si l'on remonte à la cause de ces clameurs, on la trouvera, je crois, dans le caractère même de lord Byron, et dans les mœurs de sa nation. Placé par sa naissance au premier rang de l'aristocratie anglaise, il en dédaigna toujours les prérogatives. Il montra la nullité des distinctions derrière lesquelles se réfugie la médiocrité. Il attaqua les

hommes d'état, et les combattit corps à corps, jusqu'à ce qu'il eût dévoilé au peuple tout leur machiavélisme. Il les accabla de ce mépris railleur, plus difficile à supporter que les injures directes. Il démasqua la pruderie chez les femmes, l'hypocrisie d'honneur chez les hommes; en un mot, il révolta l'orgueil de l'Angleterre. Ce peuple, qui se croyait le plus grand peuple du monde, s'étonna de se trouver si petit. Il ne vit pas que le géant qui l'écrasait, représentait la nation aux yeux de l'Europe, traitée par lui avec le même dédain.

Nous ne pouvons, en France, nous former une juste idée de l'aristocratie anglaise. Cette hydre aux cent têtes dévore tout: gloire, honneurs, considération, richesses. Elle règne sur l'opinion, et ce genre de despotisme est plus absolu que celui des lois; l'esprit, le génie lui-même, plient un moment devant cette puissance. On récompense Walter Scott par un titre; et plus d'un écrivain distingué doit s'assurer, pour réussir, le patronage d'un grand seigneur. Ainsi, sous le règne de Louis XIV, lorsque la cour était toute la France, Molière, par un bizarre contraste, jouait les marquis, et s'appuyait du suffrage d'un d'entre eux, pour assurer qu'il avait du mérite. « Je soumis cette idée à une « personne de qualité, dit-il quelque part, et elle << la trouva assez à son gré (*). » Ce n'est pas que le

(*) Voyez la préface de l'Ecole des Femmes, les Epîtres dédicatoires, etc.

génie pauvre, inconnu, n'ait besoin de protecteurs pour sortir de la foule; mais, une fois qu'il a pris son rang, il dispense les honneurs, et ne les reçoit pas. Devenu à son tour le bienfaiteur de celui qui l'encouragea, il lui donne une part à sa gloire et à son immortalité.

L'argent sert de contre-poids à l'aristocratie en Angleterre, mais sa tyrannie est encore plus avilissante. Un grand nom est quelquefois la récompense d'une belle action : il excite du moins à se montrer digne de le porter; mais la fortune s'acquiert souvent par des voies obliques, ou par des calculs qui rétrécissent l'âme; puis, en cédant au prestige de la noblesse, on cède à des souvenirs, à une sorte de grandeur morale, à une idée enfin ; tandis que l'influence de l'argent est toute physique. Elle frappe nos sens, elle s'adresse à nos jouissances les plus communes, elle nous promet des plaisirs faciles, elle nous démoralise et nous corrompt. Un noble qui veut se faire respecter, sans autre droit à l'estime que son titre, devient ridicule; un riche qui vous humilie parce qu'il a de l'or, et que vous manquez de pain, est un lâche insolent et cruel.

De jour en jour, l'argent prend plus d'importance en Angleterre; tout y devient marché ou spéculation; les coffres s'emplissent, et les cœurs se dessèchent. La nation toute entière semble frappée de la funeste malédiction du roi Midas; elle

change en or tout ce qu'elle touche, et au sein de l'abondance, elle s'appauvrit des vrais biens, de ceux de l'âme et du sentiment. Une femme de beaucoup d'esprit, et d'un cœur noble et grand, m'écrivait de Londres, il y a quelques jours: «J'ai « passé la soirée avec M. S***; c'est le seul Anglais << que j'aie rencontré depuis mon retour ici, qui ait « une étincelle d'enthousiasme dans tout son ètre. Il « a écrit une brochure en faveur des Grecs, et il a «< cherché à remuer ciel et terre pour leur cause; « mais le succès dépendra entièrement des chances « de gain que leurs affaires offriront aux spécula«teurs et aux joueurs de bourse. Nous touchons à l'époque prédite par Burke, et que, malgré tous «< ses préjugés, il n'envisageait qu'avec horreur; « cette époque où l'Angleterre, au lieu de gouverner « ses richesses, doit être maîtrisée par elles. L'aris<<< tocratie de cette vile poussière menace de rem

«

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placer toutes les autres. C'est l'unique bien, vu, << senti, compris, desiré, pour lequel nous espérions << vivre et nous osions mourir (*)

Ce n'est pas que lord Byron n'eût aussi son aristocratie, mais c'était celle du génie, de la vraie supériorité; celle qui épouvante le vulgaire et contre laquelle il s'élève par une sorte d'instinct. L'Angleterre ne pardonna point au plus noble de ses enfans de l'avoir humiliée; cette orgueilleuse

(*) It is the one good, seen, felt, understood, desired, for which we hope to live, and dare to die.

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