網頁圖片
PDF
ePub 版

tout cela; et il doit être bien démontré aux détracteurs de la France, comme il l'est au monde entier, que, si elle avait eu des projets hostiles contre Haïti, elle les aurait exécutés. Enfin, malgré l'inconvenance de ces allégations, le Gouvernement consentit à me faire partir pour Bruxelles. Il connaissait la prudence du Président, et il se ressouvint de la sagesse qu'il avait montrée, après l'Equipée de Samana. L'estime qu'on lui porte fit attribuer au Négociateur seulement l'inconvenance des phrases qui pouvaient choquer; et le Ministre se borna à me dire dans ses instructions:

« Vous ferez sentir au Général Boyé que si telle était l'opinion du Chef actuel de Saint-Domingue, sur ce qui touche aux dispositions du "Gouvernement Français, il y aurait peu d'espoir de s'entendre: car, “pour s'entendre, il faut absolument une confiance réciproque, et la "méfiance appelle le soupçon."

Il était difficile assurément de répondre avec plus de modération à une injure dont un Négociateur vient vous saluer pour premier compliment. Je ne vous cite cela que pour vous mettre à même de prouver quelles étaient et quelles sont encore les dispositions du Roi.

M. le Général Boyé disait aussi au Ministre qu'il avait ordre de ne pas cacher qu'il ne tenait qu'au Président de terminer avec d'autres Puissances des Négociations dont la conclusion ne pourrait qu'affecter essentiellement les intérêts du Commerce Français.

Ceci ne nous avait pas touché du tout. La France n'a besoin de personne pour défendre ses droits. Les Traités que le Président pourrait faire avec d'autres Puissances, ne changeront ni sa position, ni celle de la France, et ne pourraient augmenter en rien la sécurité d'Haïti pour l'avenir. Je crains d'ailleurs que le Président n'ait été trompé sur les prétendues dispositions de certaines Puissances; et nous en savons, à cet égard, autant au moins que ceux qui vont porter ces nouvelles à Saint-Domingue. Vous pouvez, au surplus, vous abstenir de causer de ceci, qui n'eut été d'aucune considération pour moi si la Négociation avait été suivie.

J'aime à croire encore que tout n'est pas rompu, et que le Président, mieux conseillé, reviendra aux dispositions qu'il m'avait annoncées dans la Lettre de M. Aubert; et alors je ferais reprendre la Négociation. S'il prend ce parti, il ferait bien d'envoyer, comme il vient de le faire, par la Hollande, et je m'y rendrais. La chose devrait être tenue secrète; c'est le moyen d'éviter toutes les intrigues et souvent des entraves qu'on rencontre dans toutes les Négociations, quand elles sont divulguées.

La personne qu'enverrait le Président, pourrait écrire soit au Ministre de la Marine, soit à moi directement, à Saint-Lô, pour nous prévenir de son arrivée. Je sais bien que la Négociation serait plus facile à Saint-Domingue même, parce que là, s'il survenait quelques difficultés, on pourrait sur le champ les résoudre tandis qu'un Négo

ciateur, dont les pouvoirs ont toujours une limite, peut se trouver arrêté mais on peut répondre à cela que le Négociateur qui irait à Saint-Domingue, serait aussi loin de la France que celui qui viendrait ici le serait d'Haïti. Au surplus, le Président vous dira peut-être ce qu'il pense là-dessus; mais, dans tous les cas, on ne pourrait proposer ici au Gouvernement d'envoyer, que quand quelqu'un serait venu d'Haïti convenir et arrêter les bases du Traité; et la France n'enverrait qu'autant qu'il n'y aurait plus, pour ainsi dire, qu'à fixer la quotité des indemnités, et à échanger les Traités.

Je n'entre pas dans d'autres détails, mon cher Laujon. Je vous recommande seulement de vous abstenir de parler à qui que ce soit de la Négociation de Bruxelles. Vous n'en parlerez qu'au Président, à moins que celui-ci ne l'ait rendue publique ; et encore vous ne devez en parler qu'avec la plus grande circonspection.

Vous pouvez, au surplus, donner au Président l'assurance que le Gouvernement du Roi sait apprécier toutes ses bonnes qualités; qu'il a pour lui un fond d'estime qui n'a pas peu contribué à ses dispositions pacifiques. Que le Gouvernement ne sera pas plus exigeant aujourd'hui qu'il ne l'aurait été il y a deux ans; que ses demandes seront simples, justes, modérées; mais qu'il veut absolument en finir.

Vous lui direz aussi que, malgré le peu de confiance qu'il m'a montré, je ne continuerai pas moins à diriger cette affaire dans le sens le plus pacifique; que j'y vois l'intérêt des deux pays; et que si, au lieu de s'adresser à des gens que le Gouvernement ne pouvait entendre, il s'était franchement adressé à moi, peut-être depuis longtemps tout serait terminé; que je ne pouvais prendre l'initiative ici, puisque j'ignorais ce qu'il disait à d'autres. Vous lui répéterez bien que, quelque chose qu'on ait pu lui dire, jamais à aucune époque, depuis ma Mission, le Gouvernement n'a eu la moindre idée d'hostilité; qu'aujourd'hui l'affaire de Saint-Domingue est la seule à finir pour la France; que le Gouvernement veut qu'elle se termine; et que, comme il sera très-modéré dans ses demandes, il est bien certain que le sort du Pays que le Président gouverne, est aujourd'hui dans ses mains.

Vous me donnerez exactement de vos nouvelles; et, si les choses prennent une tournure favorable, et si vos affaires vous permettent de revenir plus tôt que votre navire, je vous engage à le faire, parce qu'alors j'agirai en conséquence des nouvelles que vous me rapporterez.

Il ne me reste plus, mon cher Laujon, qu'à vous souhaiter un bon voyage, et à vous réitérer l'assurance de mon bien véritable attache

ment.

ESMANGART.

(M.)-Le Président Boyer à Monsieur Esmangart.
Port-au-Prince, le 4 Février 1824.

MONSIEUR LE PREFET,

LES Lettres que vous m'avez écrites concernant la Mission du Gé

néral Boyé, et les pièces y relatives que vous m'avez adressées, me sont parvenues. J'y ai porté toute l'attention qu'exige une affaire de si haute importance, et je vais vous répondre avec la franchise qui me caractérise.

Je dois vous dire d'abord que j'avais l'âme ulcérée lorsque vos derniers paquets me parvinrent; mais qu'ils m'ont fait le plus grand plaisir, parce qu'ils ont dissipé de funestes préventions que des rapports multipliés, que je venais de recevoir d'Europe, avaient fait naître ici. En effet, alors même que Haïti avait donné des preuves répétées de loyauté, la France, disait-on, accélérait des préparatifs hostiles destinés contre ce Pays. Des Communications positives, assurait-on, faites par des Membres du Gouvernement Français, ne permettaient pas d'avoir aucun doute à cet égard. Vous concevez combien, dans un tel état de choses, les esprits ont dû être exaspérés. D'ailleurs, vous ne l'ignorez pas, il est naturel que le peuple prenne l'alarme, lorsque, pour compensation de sa bonne foi, on lui annonce de pareilles dispositions.

Je conviendrai pourtant qu'il m'a été pénible de penser que PAuguste Souverain de la France dont le régne est si glorieux, eût donné son assentiment à une résolution que la Providence ne peut approuver. La religion et les profondes lumières de Sa Majesté Très-Chrétienne doivent donner lieu à d'autres espérances.

C'est avec de vifs regrets, je l'avouerai aussi, que j'ai appris le mal-entendu qui a eu lieu dans vos conférences avec le Général Boyé. Cette circonstance a été d'autant plus facheuse, que l'époque où elle a eu lieu coïncidait à celle où l'on me transmettait les graves informations dont je viens de vous entretenir; ce qui naturellement devait ajouter, par induction, à la nature de leur importance, et leur donner une plus grande apparence de crédibilité.

Cependant, Monsieur le Préfet, j'aime à vous le répéter, je suis toujours dans les mêmes intentions de traiter sur les bases expliquées dans mes Dépêches des 10 et 16 Mai 1821, dont vous m'avez rappelé un paragraphe dans une de celles que vous m'avez adressées. Mes principes sont invariables et mes devoirs sont sacrés: je n'y manquerai jamais.

M. Laujon, qui m'a remis vos paquets, a été très-bien accueilli; il est chargé de vous remettre la présente.

Ainsi, vous me la confirmez, tout étant disposé pour la conclusion de la reconnaissance de l'Indépendance d'Haïti, nul obstacle ne doit plus retarder ce grand œuvre. Je vais donc, pour cet important objet, envoyer un Négociateur chargé des pouvoirs nécessaires. Déjà je me félicite des bienfaits qui seront le résultat de ce Traité en faveur des deux Pays; et vous-même, je n'en doute pas, vous trouverez dans

votre cœur de bien grands motifs de satisfaction de vos nobles et constans efforts pour y parvenir.

Agrêez, Monsieur le Préfet, une nouvelle assurance, &c.

BOYER.

(N.)-M. le Président aux Citoyens Larose, Senateur; et Rouanez, Notaire du Gouvernement.

CITOYENS,

Port-au-Prince, le 28 Avril 1824. Après avoir considéré la situation politique où la République se trouve placée vis-à-vis du Gouvernement Français, j'ai jugé à propos de faire des Ouvertures Officielles au Roi Très-Chrétien à l'effet d'obtenir de Sa Majesté la réconnaissance, en forme authentique, de l'Indépendance du Peuple Haïtien, et de parvenir ensuite à la conclusion d'un Traité de Commerce entre la France et Haïti.

Si cette demarche est suivie d'un heureux succès, j'aurai couronné le grand œuvre de notre émancipation, j'aurai fermé les portes de la guerre, j'aurai agrandi la sphère de notre industrie et de notre prospérité. Si au contraire l'événement trompait mon attente, le monde ne pourrait me reprocher d'avoir, par indifférence, frustré mon Pays du bien qui pouvait en résulter.

Connaissant vos vertus patriotiques, et plein de confiance en vos lumières et en votre prudence, je vous ai choisis et désignés pour être les Négociateurs de cette importante affaire.

En conséquence, vous partirez de ce port, sous le plus bref délai, pour vous rendre à Paris, et vous y aboucher avec les Agens de Sa Majesté Très-Chrétienne, afin de fixer et arrêter, de concert avec eux, les bases sur lesquelles doivent être fondés la reconnaissance de l'Indépendance d'Haïti, et le Traité de Commerce qui existera entre les deux Nations, pour leur avantage respectif.

Aux effets que dessus, je vous donne, par la présente Lettre de Créance, tous pouvoirs nécessaires, pourvu que vous vous conformiez en tout aux Instructions qui l'accompagnent, et que vous n'outrepassiez point les limites dans lesquelles elles circonscrivent l'étendue de ces mêmes pouvoirs; vous promettant solennellement, ainsi qu'à tous ceux qu'il appartiendra, de ratifier et confirmer, d'exécuter, et faire exécuter, tout ce qu'en vertu de la présente et des susdites Instructions, vous aurez définitivement arrêté.

Je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

BOYER.

(0.)—INSTRUCTIONS du Président Boyer.

Aux Citoyens Larose, Senateur; et Rouanez, Notaire du Gouvernement, chargés de Mission près le Gouvernement de Sa Majesté TrèsChrétienne, par Lettres de Créance, en date de ce jour, afin de traiter de la Reconnaissance de l'Indépendance d' Haïti et d'arrêter les bases d'un Traité de Commerce.

CITOYENS,

Port-au-Prince, le 28 Avril 1824 LES événements qui ont préparé et amené l'Indépendance d'Haïti sont trop présents à votre mémoire pour qu'il soit nécessaire d'en faire ici l'énumération. Il me suffira de vous rappeler que la Déclaration de notre Indépendance, qui date du 1 Janvier 1804, fut provoquée par une multitude d'actes de cruauté exercés contre les Haïtiens avec une violence qu'il ne leur était plus possible de supporter.

Je n'ignore pas que le Monarque qui régne aujourd'hui sur la France, n'est pour rien dans nos malheurs; et je me plais à croire que toutes les fois qu'il porte sa royale pensée vers notre beau pays, il soupire du regret de n'avoir pas eu dans les temps, comme présentement, le pouvoir d'arrêter le cours des fléaux qui l'ont désolé.

Mais le souvenir du passé a rendu le Peuple Haïtien ombrageux sur tout ce qui regarde son existence nationale; et rien désormais n'est capable, je ne dis pas de détruire, mais d'ébranler même dans son esprit cette conviction intime, fruit d'une triste expérience, qu'il ne peut y avoir de garantie pour la conservation de ses droits civils et politiques, que dans une Indépendance absolue de toute Domination Etrangère, de toute espèce de Suzeraineté, même de tout protectorat d'une Puissance quelconque, en un mot, que dans l'Indépendance dont il jouit depuis vingt ans.

Ces vérités reconnues et admises, il sera facile d'arriver à la conclusion de l'œuvre par lequel Sa Majesté Louis XVIII ajoutéra à la Couronne d'Immortalité qui lui est déjà assurée, un nouveau titre de gloire plus précieux que tous les autres aux yeux de la religion et de l'humanité, en aimant mieux renoncer de lui-même à une portion de l'héritage de ses ancêtres, que de commettre la vie de ses sujets aux hasards d'une guerre lointaine et à la malignité d'un climat vengeur; en préférant participer, par les échanges du commerce, à la fertilité d'un des plus féconds terroirs qui soient sous le soleil, plutôt que d'y dominer même mais sur des ruines et des cendres stériles; en mettant son honneur à cicatriser et non à rouvrir les plaies d'une Nation qui fut si cruellement maltraitée, si indignement outragée. Enfin, en ayant plus à cœur de voir tout un peuple chrétien adresser au Souverain Maître du Monde, un concert unanime de vœux, pour la prospérité de son règne, que de l'entendre maudire le jour où le Pavillon Français apparut dans

ses ports.

« 上一頁繼續 »