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ni chez l'homme primitif malgré les apparences: nous les faisons agir et peiner pour notre avantage en utilisant leurs tendances inférieures à la recherche de l'alimentation et à la fuite de la douleur, mais ils ne font pas eux-mêmes l'acte du travail. Les criminologistes, comme Maudsley, Lombroso, Ferri, Tarde, nous ont montré comment le travail disparaît chez les criminels et les prostituées; nous savons que le travail s'altère et disparait dans une foule de névroses professionnelles, qu'il est absent dans les aliénations. C'est que le travail, l'effort, appartiennent à des tendances supérieures à la réflexion, que j'ai souvent essayé de décrire sous le nom de tendances rationnelles ou de tendances ergétiques.

Ces opérations sont caractérisées par une distribution particulière de la force: elles ne se bornent pas à utiliser la force accumulée dans des tendances inférieures, elles tirent leur force d'une réserve spéciale pour l'ajouter aux idées qui ne sont pas assez fortes par elles-mêmes. Un homme qui a du caractère est un homme capable d'exécuter ses décisions, ses promesses, ses engagements, même si cette exécution ne lui cause aucune satisfaction actuelle. Vous avez en Anglais une excellente expression pour désigner "a reliable man," un homme sur qui on peut compter, car il exécute sa parole même si cette exécution lui coûte un effort.

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Ces tendances jouent un rôle considérable dans la conduite morale: sans doute il y avait déjà de l'ordre, de la légalité dans les conduites précédentes: des tendances sociales s'étaient développées, des tendances à la sympathie, au dévouement étaient puissantes chez certains individus, peur de la loi, la peur du châtiment pouvaient déjà arrêter bien des criminels. Mais ce n'était pas la vraie morale, pas plus que le labour du bœuf n'est le vrai travail. Kant a bien compris le caractère essentiel de l'acte moral, quoiqu'il n'en ait pas donné la théorie psychologique. La morale consiste à faire son devoir, non pas parce qu'il plaît ou parce qu'on a peur du châtiment, mais simplement parce que c'est le devoir. Il faut une réserve de forces particulière pour rendre un homme capable d'exécuter un acte de cette manière. Ce n'est pas là seulement une notion morale, c'est une observation psychologique et même une observation clinique. La valeur d'un homme se mesure par sa capacité à faire des corvées: le devoir n'est qu'un cas particulier de ces corvées que l'homme supérieur est capable de s'imposer.

Bien des faits psychologiques dépendent de cette notion fondamentale du travail: l'attention volontaire bien différente de l'attention spontanée, la patience pour supporter l'attente, l'ennui ou la fatigue, l'initiative, la persévérance, l'unité de la vie, la cohérence des actes et

des caractères, toutes choses qui ne sont pas seulement des vertus mais des fonctions psychologiques supérieures. Je veux seulement rappeler l'importance des principes de la raison, de ces règles de logique analogues aux règles morales auxquelles l'homme s'impose d'obéir. Le principe d'identité est, disait-on autrefois, une loi absolue de l'esprit à laquelle la pensée ne peut pas échapper. Quelle erreur! Dans les bavardages, dans les rêves, dans les religions, dans les délires les contradictions et les absurdités sont perpétuelles; les rêveurs, les malades continuent à penser et même à croire avec conviction malgré ces contradictions. Le principe d'identité n'est pas une loi de la pensée, c'est une loi que l'homme impose à la pensée quand il veut être raisonnable et quand il peut l'être. De même que l'homme ne doit pas dans la cité avoir des pensées trop opposées à celles des autres citoyens, de même il ne doit pas être en contradiction avec lui-même et quand il est capable d'effort il s'impose cet accord avec lui-même comme il s'impose l'exécution de ses promesses. Par ce travail il transforme aussi l'aspect du monde: à l'être et à la réalité il ajoute la vérité, car la vérité c'est ce que nous croyons non seulement après réflexion, mais après soumission aux règles.

Vraiment il semble que chacune des grandes fonctions psychologiques se soit particulièrement conservée et développée dans certaines professions. Nous avons vu que le parlementaire, l'avocat, représentaient la fonction délibérative de la réflexion. Il me semble que le professeur représente ces tendances au travail, à l'ordre, au système. Dans les niveaux précédents de l'activité psychologique les progrès, les inventions nouvelles se transmettaient d'abord par l'hérédité, puis par l'imitation, puis par l'ordre, puis par la discussion. Maintenant commence l'enseignement qui transforme les perceptions, les formules d'action pratique, les explications de telle manière que les élèves puissent les retenir, les répéter, les retrouver avec facilité. Une foule d'opérations psychologiques ou logiques ne sont que des procédés d'enseignement systématique qui se sont développés à ce moment de l'évolution.

Rien n'est parfait et nous devons toujours progresser. L'homme à système, l'esprit systématique qui résume ces tendances ergétiques a bien des faiblesses dans la lutte pour la vie, il devient facilement un esprit faux, dénué de sens pratique et il est vite écrasé par un individu plus adroit. Ce nouveau personnage sait tenir compte d'autre chose que de la loi et des principes, il sait tenir compte des faits. Nous nous figurons que tenir compte des faits est une chose bien simple et on a voulu faire de l'utilisation des souvenirs un caractère de la psychologie

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animale. Il a fallu bien du temps pour s'apercevoir que bien des hommes, cependant supérieurs à l'animal, ne savaient aucunement tenir compte de l'expérience.

Le souvenir n'est pas une tendance à agir, c'est une tendance à raconter. Si par accident le récit détermine des actes, c'est qu'il reproduit maladroitement quelques-unes des actions qui ont accompagné sa formation, c'est qu'il cesse d'être un souvenir pour devenir une hallucination. Pour que le véritable souvenir soit de quelque utilité pratique dans la vie présente, il faut qu'il soit transformé. J'ai mangé tel fruit et j'ai été malade, j'ai pris tel chemin et je me suis égaré. Ces accidents ne sont arrivés qu'une fois et n'ont pu par la répétition créer des tendances; pour que le premier événement soit considéré comme aussi dangereux que le second il faut que l'esprit établisse un rapport de production entre les deux événements, il faut qu'il tire de ce récit un ordre: "ne mange pas ce fruit, ne prends pas ce chemin"; mais il faut surtout donner de la force à cet ordre qui n'en a aucune. Il est déjà difficile de donner de la force à un précepte généralement adopté par la tribu quand cet ordre n'est pas devenu une tendance puissante. Il a fallu la longue éducation de l'humanité par les religions de morale austère, il a fallu l'acquisition de la domination sur soi-même, l'habitude de sacrifier ses préférences pour que l'humanité devînt capable de donner de la force à l'ordre issu du souvenir. La conduite expérimentale est une conduite vertueuse dans laquelle il y a de l'humilité pour exprimer son système avec hésitation et doute, de la fermeté morale et du caractère pour attendre le fait et pour éviter "de donner le coup de pouce à l'expérience," de la résignation pour accepter le verdict de la uature. La religion ne devrait pas être trop sévère pour la science, car c'est elle qui l'a enfantée.

On croit d'ordinaire que cette conduite est réservée au savant qui construit la science et qui expérimente dans son laboratoire. C'est une erreur, le savant précise cette conduite d'une manière particulière, mais il ne l'invente pas. Dans les temps modernes l'esprit expérimental est répandu partout: une cuisinière, a-t-on dit, fait de la science expérimentale quand elle vérifie le temps de cuisson d'un ceuf à la coque. L'habileté pratique, la critique des systèmes par leur succès pratique, le besoin de vérification d'un appareil aussi bien que d'un récit, le besoin de confirmation par les observations d'autrui, le sentiment du possible à la place de l'absolu, la conception de la nature, de la loi naturelle, du déterminisme sont des choses partout répandues. Les premiers progrès se sont faits, a-t-on dit, par la méthode de "trial and error," cela est

juste, si nous comprenons bien que c'est nous qui parlons d'essai et d'erreur et que l'animal lui-même ne fait pas d'essais et ne reconnaît pas d'erreurs. C'est chez l'animal une certaine agitation et une certaine cessation de l'agitation qui nous présente l'apparence de l'essai et de l'erreur. Il a fallu bien des siècles pour que les progrès se fassent réellement par "trial and error" pour que l'homme soit devenu capable d'essayer, de constater ses erreurs, d'utiliser de tels souvenirs et de tenir compte de l'expérience.

Nous ne pouvons essayer de prévoir l'avenir ni de deviner quel sera le nouveau progrès de l'esprit et la nouvelle étape de son développement. Peut-être pourrions nous avoir une indication en étudiant les idées de progrès et d'évolution qui depuis quelque temps s'ajoutent aux idées de loi naturelle et de déterminisme. Sans doute le progrès et l'évolution existent depuis longtemps et toutes les tendances que nous avons décrites sont sorties successivement des tendances primitives à l'écartement et au rapprochement par une invention et un progrès incessants. Mais, de même que la méthode de "trial and error" était appliquée inconsciemment, les progrès étaient accomplis sans être recherchés ni compris comme tels. Prendre conscience du progrès, de sa possibilité malgré le déterminisme, comprendre les idées de hasard, de liberté et d'évolution, tout cela me semble une étape nouvelle dans laquelle l'humanité paraît s'engager. J'ai souvent appelé de telles tendances des tendances artistiques parce que les arts ont toujours cherché à cultiver l'originalité, la nouveauté, parce que tous les actes nouveaux se sont d'abord présenté sous la forme artistique avant de prendre la forme pratique. Mais il est évident que ce mot n'est pas absolument juste car des arts ont existé à toutes les étapes du développement. L'art n'est pas autre chose que la mise en pratique des procédés d'excitation et il y a eu de l'excitation à toutes les époques. Il serait plus juste d'appeler ces tendances des tendances progressives, car l'idée de progrès et la recherche du progrès en sont le caractère essentiel.

Une des conséquences les plus remarquables de ces nouvelles tendances me paraît être le développement des conduites individuelles et originales, comprises et recherchées comme telles. On admet que chaque homme a son individualité sans réplique, on veut avoir vis-à-vis de lui une conduite également spéciale et individuelle. C'est la recherche de l'intimité, "parce que c'était lui, parce que c'était moi." L'individualité est étendue même aux événements qui semblent avoir chacun des caractères propres, qui n'ont pas existé tels auparavant et qui ne se reproduiront jamais exactement les mêmes. Les sciences de l'histoire

dont le développement caractérise cette période ont sur ce point une attitude embarrassée. Elles répètent bien avec Aristote qu'il n'y a pas de science de l'individuel et qu'elles cherchent des lois générales; mais elles se complaisent dans l'érudition, dans la biographie qui met en lumière le fait individuel. Vraiment, si j'ose faire une comparaison semblable, l'historien se conduit comme le géographe qui décrit minutieusement les détails individuels propres à une région. Mais le géographe a une excuse, c'est qu'il nous fournit un guide précieux quand nous nous proménerons dans la région. Est-ce que l'historien ne conserve pas au fond de l'esprit une pensée qu'il n'ose pas avouer, c'est que l'homme se proménera un jour dans le passé?

Les plantes se bornent à pousser dans l'espace, les premiers actes des animaux ont permis les mouvements, puis les déplacements du corps qui ont triomphé de plus en plus de l'espace. Les conduites en rapport avec le temps ont été bien postérieures et bien moins heureuses, car nous nous bornons encore à pousser dans le temps comme des plantes dans l'espace. La mémoire, ce commandement aux absents ne s'applique au passé que fort indirectement et n'a pas de prise sur lui. Ce n'est qu'au moment des conduites expérimentales que l'action humaine a utilisé le passé et encore dans une bien faible mesure. Les actes où interviennent les notions de progrès et de création libre essayent de mordre sur le temps et de rapprocher le futur. Est-ce qu'un jour l'homme ne fera pas dans le temps des progrès analogues à ceux qu'il a faits dans l'espace? L'évolution n'est pas terminée et l'action humaine a été et sera encore une source de merveilles.

Ces espoirs bien chimériques sans doute, mais consolants pourront peut-être faire pardonner l'aridité de ce long résumé. Excusez-moi d'avoir voulu vous présenter un tableau raccourci des diverses conduites humaines dans leur ordre d'évolution afin de vous donner le sentiment de la hiérarchie des fonctions psychologiques. Cette notion me semblait indispensable pour comprendre les oscillations de l'esprit.

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