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correspondent pas en réalité aux véritables dispositions de l'esprit: trop souvent l'homme est amené à regretter des affirmations de ce genre. Aussi peu à peu se sont développées sinon une autre volonté et une autre croyance, au moins une autre méthode de localisation des volontés et des croyances. Cette transformation s'est faite par l'évolution d'un phénomène social extrêmement important qui devrait avoir une place plus grande dans les études de psychologie, je veux parler de l'opération de la discussion entre plusieurs individus qui opposent les unes aux autres leurs volontés et leurs croyances naissantes. Cette discussion sortie du bavardage et de la conversation a eu un long développement. Elle a fini par s'étendre à un grand nombre d'affirmations même quand l'homme se trouvait seul. La réflexion est une conduite qui reproduit en dedans de nous-mêmes la discussion d'une assemblée et qui ne laisse l'assentiment se faire qu'après une discussion interne. Ce travail se décompose en une série d'opérations psychologiques qui n'existaient pas au stade du pithiatisme. La première de ces opérations, le doute, est un arrêt de l'affirmation, un maintien actif de la parole à la forme de langage inconsistant. "La plus grande marque de puissance sur soimême," disait William James, "est de suspendre sa croyance en présence d'une idée qui excite les émotions." Nous ne serons pas étonnés de voir cette opération fragile présenter bien des désordres chez les malades.

Pour sortir du doute l'esprit cherche par une interrogation active à évoquer les diverses tendances en rapport avec la formule proposée pour constater leur force véritable et permanente et non leur puissance momentanée. Quel genre de réponses cette interrogation va-t-elle obtenir? Il ne faut pas se figurer que dès le début la réflexion va être complète et qu'elle va se servir des notions psychologiques les plus élevées. Par exemple, nous pensons volontiers que la réflexion va évoquer des souvenirs: "dans une circonstance semblable j'ai déjà fait ceci et j'ai échoué" et nous pensons que la réflexion va se servir de ce souvenir pour éviter un nouvel échec. En réalité cela n'est pas possible; les souvenirs dont nous avons vu la formation ne sont pas des tendances puissantes capables de donner des ordres. Ce sont justement des tendances à des récits, très séparées des circonstances dans lesquelles elles ont été formées et très isolées de l'action. M. Lévy Bruhl dans son livre sur l'intelligence primitive s'étonne que ses sauvages ne tiennent pas compte de l'expérience, c'est que tout justement ils n'ont pas encore la mentalité d'un Claude Bernard. L'expérience ne fait pas au début partie de la réflexion. La réflexion évoque-t-elle au moins des règles morales et des règles logiques? Oui, sans doute s'il s'agit de règles trans

formées en tendances à l'obéissance par un long usage social, s'il s'agit de rites traditionnels entourés de peurs et de respects. Mais non en aucune façon s'il s'agit de règles purement morales ou logiques qui demandent à être respectées pour elles-mêmes et qui ne sont pas transformées en tendances puissantes.

La réflexion primitive favorise seulement la lutte de nos tendances, mais elle les évoque toutes et leur permet de se présenter avec toute leur force latente. La lutte de ces tendances constitue la délibération quand elle doit aboutir à une volonté, elle constitue le raisonnement. quand elle doit aboutir à une croyance. M. E. Rignano de Milan a bien montré que le raisonnement est une sorte d'essai de l'action par l'imagination; cette observation s'applique également à la délibération dans laquelle les choses se passent exactement de la même manière. Après cette lutte, après ces essais en imagination intervient la décision qui affirme, qui transforme la formule en volonté ou en croyance. Cette dernière opération est analogue à l'impulsion qui caractérisait les tendances pithiatiques, mais elle est précédée et transformée par tout le travail précédent.

Le doute donne naissance à l'idée qui est un langage arrêté d'une manière active au stade du langage inconsistant: l'homme prend des précautions pour que ni les autres ni lui-même ne le laissent dépasser ce degré. Le rôle de l'idée, de la conduite par l'idée, en sachant ce que l'on fait est considérable. Rappelons seulement que l'idée a permis l'essai de l'acte que nous avons déjà vu intervenir dans le raisonnement et qui facilite beaucoup tous les progrès. S'il fallait construire tout de suite en fer la locomotive qu'un ingénieur vient d'inventer, ce serait bien long et bien coûteux, il est plus simple de la construire d'abord en dessin sur le papier et de l'essayer en idée, ce sera beaucoup plus économique. L'intention également dérive de ces notions ainsi que la conduite intentionnelle qui prend deux formes suivant que nous avons nous-mêmes des intentions ou bien que nous soupçonnons les autres d'en avoir. Les explications des choses qui ont déjà commencé avec les productions artificielles et la recherche des procédés de production se précise par la recherche des intentions et des fins. D'autres variétés du doute plus ou moins complet donnent naissance à la conception du passé, de l'imaginaire, du mensonge qui est un développement de la ruse et de la cachotterie des stades précédents et qui va prendre une grande importance. Le mensonge aux autres va engendrer le mensonge à soi-même qui, si je ne me trompe, intervient dans beaucoup de délires. Le mensonge qui donne de l'importance à cette parole intérieure si

réduite que personne ne peut l'entendre ni la deviner amènera le concept de la pensée et de l'esprit: un esprit n'est pas autre chose qu'un être capable de dissimulation et de mensonge.

Il vaut mieux insister sur les transformations que la décision réfléchie impose aux volontés et aux croyances. La volonté réfléchie s'est rattachée à la personnalité d'une manière bien plus nette parce qu'elle ne dépend pas d'une impulsion momentanée, mais de l'ensemble des tendances. De telles actions font partie de la personne, elles entrent dans son histoire, elles sont accompagnées du sentiment de responsabilité. Les impulsifs du degré précédent n'avaient qu'un sentiment vague de leur personnalité, sans doute ils obéissaient à des instincts. vitaux et de temps en temps ils présentaient de l'égotisme. Mais les hommes qui possèdent la volonté réfléchie sont devenus capables de faire des calculs d'intérêt, ils ont inventé le véritable égoïsme.

Une modification de langage assez curieuse accompagne ce développement, c'est l'usage des pronoms personnels pour remplacer le nom propre. Au début un individu nommé Jean se bat simplement tout seul, c'est le stade perceptif; puis il se bat en même temps que d'autres, en avant d'eux et en criant, c'est le stade social. Plus tard il reste immobile en criant aux autres: "Marchez, marchez," c'est le stade intellectuel; ensuite il précise sa formule de commandement en criant: "Jean veut que vous marchiez," c'est le stade asséritif. Enfin maintenant il crie: "Je veux que vous marchiez," c'est le stade réfléchi. Cette phrase signifie en effet non seulement que Jean veut que les soldats marchent mais encore que c'est lui-même qui le dit: Jean le veut et Jean dit qu'il le veut, c'est ce redoublement exprimé par le pronom personnel qui est propre à la réflexion.

J'insiste aussi sur une modification essentielle de la croyance. Les objets de la croyance simple du stade précédent avaient gagné la stabilité et la permanence, ils étaient devenus des êtres. Mais la réflexion ajoute qu'il s'agit d'une croyance de toute la personnalité, qu'il s'agit d'une croyance dans laquelle nous sommes capables de mettre de la passion. L'être auquel on parvient ainsi se transforme, il devient le réel par opposition à l'irréel de l'idée et de l'imaginaire. Les études sur les maladies mentales qui nous guident pour établir cette hiérarchie des tendances nous ont particulièrement enseigné cette relation entre le sentiment du réel et les opérations de la réflexion: c'est un point sur lequel nous aurons à revenir dans notre dernière leçon. Nous verrons que le sentiment du présent est également troublé quand l'activité réfléchie cesse d'être normale et que par conséquent il appartient égale

ment à ce niveau. Bien d'autres faits seraient à signaler pour montrer les nombreuses conséquences de la réflexion: il s'agit là d'une opération fondamentale dans notre conduite et un grand nombre de troubles de l'esprit peuvent s'expliquer par des modifications de l'activité réfléchie.

III.

L'activité réfléchie, plus élevée sans doute que l'assentiment immédiat, n'est pas tout dans l'esprit: elle est certainement dépassée par des activités psychologiques supérieures. Nous en serons facilement convaincus en étudiant les individus qui, soit constitutionnellement pendant toute leur vie, soit accidentellement au cours des dépressions, présentent d'une manière complète cette activité réfléchie, mais sont incapables d'aller au-delà. Ils présentent régulièrement quatre caractères principaux, la passion, l'égoïsme, la paresse, le mensonge qui découlent naturellement de la réflexion quand elle n'est pas dépassée. L'individu intéressé n'est pas le type idéal de la société contemporaine, nous sommes quelquefois capables de nous élever au-dessus.

Recherchons ce qui manque à l'activité réfléchie: on peut voir les insuffisances de cette conduite si on examine non les résolutions ellesmêmes, mais les exécutions de ces résolutions. "Video meliora," disait Ovide, "deteriora sequor." "Je vois le bien, je l'approuve et c'est le mal que je fais." Un alcoolique prend devant nous d'excellentes résolutions et deux heures après il s'enivre dans un cabaret. Bien mieux il y a des troubles de la volonté, des aboulies qui ne portent pas sur la décision, mais qui portent uniquement sur l'exécution: certains sujets n'hésitent pas pour voir le bon parti et pour l'adopter, mais ils sont pris de doutes, d'hésitations, ils présentent tous les troubles de la dérivation psychologique quand il s'agit d'exécuter.

Comment cela est-il possible? On pourrait dire d'abord qu'il y a un intervalle de temps entre le moment où la résolution est prise et le moment où il s'agit de l'exécuter. Je ne crois pas que ce soit bien important, la réflexion ne tient pas compte uniquement de l'état momentané des forces, elle s'appuie sur la force profonde de toutes les tendances et celle-ci n'a guère changé. Il y a surtout une différence dans la manière dont les motifs se présentent pendant la délibération qui précède la décision et dans les moments qui précèdent l'exécution. Dans la délibération les diverses tendances ne sont pas réellement toutes éveillées et n'ont pas réellement mobilisé leurs forces. Elles sont simplement exprimées par des formules verbales qui ont chacune une force très

petite, mais proportionnelle à celle de la tendance qu'elle représente. C'est d'ailleurs à cette réduction des forces verbales qu'est due l'économie des essais faits purement en paroles. La décision par la victoire de la formule qui représente la tendance la plus puissante a été obtenue en arrêtant simplement d'autres formules représentatives. Mais au moment de l'exécution il ne s'agit plus de lutter simplement contre des formules représentatives, on se trouve en présence des tendances elles-mêmes. réellement éveillées et de grandes forces mobilisées, il n'est pas étonnant que la formule victorieuse se montre insuffisante.

Permettez-moi, je vous prie, une comparaison: La délibération se passe dans une assemblée magnifiquement composée des représentations de toutes les nations, elle aboutit à une décision acceptée par tous ces représentants. Etes-vous bien surs que les Etats vont immédiatement obéir à cette décision de la Société des Nations? Hélas, un de nos grands chefs militaires, un peu désabusé peut être, me disait dernièrement: "La Société des Nations n'aboutira à rien, car on a oublié l'essentiel. Il ne suffit pas de prendre des décisions entre représentants, il faut les faire exécuter par les nations représentées. Pour cela il faudrait une gendarmerie et on a oublié la gendarmerie." Quand la Médée d'Ovide nous dit en gémissant

"Aliudque cupido

Mens aliud suadet, video meliora proboque
deteriora sequor,"

elle a bien pris la résolution dans le parlement de l'esprit, mais elle ne peut pas faire obéir les tendances, car elle aussi, elle manque de gendarmerie.

Il y a cependant des parlements qui font exécuter les lois qu'ils ont votées, il y a des individus qui exécutent leurs décisions réfléchies: c'est qu'ils ont à leur disposition cette gendarmerie qui manquait aux précédents. Cela signifie qu'il y a dans l'esprit de nouvelles fonctions qui se sont constituées pour ajouter de la force aux formules verbales qui n'en ont pas une suffisante et qui doivent cependant triompher1. Je résumerai ces fonctions par un mot, il s'agit du travail et de la tendance au travail. Les psychologues n'ont pas à mon avis donné une place suffisante à l'analyse du travail, peut-être parce qu'ils ne se placent pas suffisamment au point de vue de l'action et qu'ils ne se préoccupent pas assez de sa force ou de sa faiblesse. Le travail est un genre d'action plus difficile et plus rare qu'on ne le croit. Il n'existe pas chez l'animal

1 Cours de 1914-15, les tendances rationnelles, 1915-16, les tendances explicatives; of. Les médications psychologiques, 1919, п. p. 77.

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