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I.

Au début de ce tableau nous placerons la conduite animale, car l'homme a d'abord une conduite animale sur laquelle il a édifié une conduite humaine, mais qu'il n'a pu supprimer car elle est indispensable1. Cette conduite animale est relativement aux conduites proprement humaines une conduite simple: chaque action provoquée par la stimulation extérieure peut être composée de mouvements nombreux quelquefois compliqués et systématisés, mais elle reste simple parce qu'elle est accomplie d'une seule manière par des mouvements des membres sans être compliquée par le langage qui ajoute aux mouvements des membres une seconde exécution de l'action. En un mot la conduite animale c'est la conduite simple sans la complication du langage, c'est la conduite avant le langage.

Le point de départ de la vie psychologique ne me semble pas devoir être cherché dans les sensations telles qu'elles nous sont connues quand nous les exprimons par le langage, car il s'agit là de phénomènes psychologiques beaucoup trop complexes. Les premiers actes psychologiques dérivent des grandes fonctions de la vie animale, la protection du corps, l'alimentation, l'excrétion, la fécondation, quand celles-ci ne se bornent pas à déterminer des modifications à l'intérieur de l'organisme, mais quand elles donnent lieu à des mouvements des parties extérieures du corps ou à des déplacements de ce corps. Ces fonctions pour s'exécuter dans des conditions plus complexes ont besoin de mouvements de rapprochement et d'écartement qui sont les premiers faits psychologiques, points de départ de toutes les autres conduites plus élevées.

Quand ils sont tout à fait élémentaires, ces premiers mouvements prennent la forme d'actes réflexes. Les physiologistes donnent de l'action réflexe une définition fort juste à leur point de vue, mais incomplète quand nous tenons compte du point de vue psychologique. Ils constatent que les réflexes sont des mouvements de telle ou telle partie du corps ayant une étendue et une force bien déterminées qui se produisent régulièrement à la suite d'une modification également bien déterminée de telle ou telle partie de la périphérie du corps. Si l'on se bornait à cette définition tous nos actes même les plus élevés seraient des réflexes:

1 Ces études sur les conduites élémentaires ont été présentées dans les cours de psychologie du Collège de France, 1904-5, Cours sur les mouvements des membres, 1909-10, sur les tendances élémentaires, 1910-11, sur les sensations et les perceptions. Des résumés de ces cours ont été publiés dans L'Annuaire du Collège de France; j'espère pouvoir un jour les publier complètement dans mes Eléments de psychologie clinique, en préparation.

J. of Psych. (Med. Sect.) I

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je viens de commencer à parler quand M. le président m'a donné la parole, c'est aussi une réaction déterminée à la suite d'une certaine réception et cette conférence est en un sens un réflexe. Comme nous nous proposons de distinguer les actes les uns des autres et de séparer ceux qui sont inférieurs de ceux qui sont supérieurs, je vous proposerai de compléter un peu le sens du mot réflexe quand nous parlons le langage de la psychologie en ajoutant certains caractères négatifs à la définition précédente. Les réflexes sont en outre des actes explosifs qui commencent quand la stimulation atteint un certain degré et qui une fois commencés se déroulent complètement, au moins quand ils ne rencontrent point d'obstacles, jusqu'à ce que la tendance soit complètement déchargée. Ils ne peuvent s'arrêter d'eux-mêmes à tel ou tel degré de leur développement, ils ne peuvent pas davantage être complétés par une addition de force quand la décharge est insuffisante. Les réactions d'écartement, phénomène essentiel de la douleur, les réactions de rapprochement, phénomène essentiel du plaisir, les réactions d'introduction dans le corps et d'excrétion qui en sont des complications se présentent au début sous cette forme.

Au-dessus des réflexes ainsi entendus se sont constitués des actes qui se réalisent d'une manière un peu plus compliquée. Les tendances ne se déchargent pas d'une manière complète après la première stimulation suffisante, elles ne sont plus explosives. La décharge se fait en deux temps après deux ou plusieurs stimulations distinctes. La première stimulation éveille la tendance, provoque une certaine mobilisation des forces, elle est préparante; mais la tendance ainsi éveillée reste à un degré incomplet d'activation jusqu'à ce qu'une nouvelle stimulation déchaînante amène l'acte complet à la consommation. Le chien qui sent dans la plaine l'odeur du lapin ne fait pas immédiatement d'une manière explosive l'acte de manger du lapin, car il le ferait à vide, le lapin n'étant pas dans sa bouche. Le chien se borne à éveiller la tendance à manger du lapin jusqu'à un premier degré que l'on peut appeler le stade de l'érection, il la maintient à ce degré pendant qu'il va, vient, court de tous côtés; maintenant il voit le lapin, la tendance monte à un stade supérieur d'activation, mais ne se décharge pas encore. Enfin il a dans la bouche la stimulation produite par le contact de la peau du lapin, il laisse la tendance se décharger complètement et il mange le lapin. Ces tendances suspensives ou à activation échelonnée sont l'élément essentiel des perceptions, elles permettent la constitution de l'objet ou si l'on préfère des conduites en rapport avec l'objet. Les

notions relatives aux objets dépendent de ces actions variées, fuites ou attaques de différentes espèces qui sont déterminées par la présence prochaine ou lointaine de l'objet. Mais il s'agit toujours d'activations incomplètes de ces tendances arrêtées au premier stade, qui se présentent sous la forme d'attitudes, comme je le disais dans mes cours, ou de schèmes. La suspension de l'activation des tendances reste le caractère essentiel des conduites perceptives.

Par une confusion et une extension des tendances relatives au corps propre se sont constituées les premières tendances sociales1. La conservation du corps des semblables, l'imitation des actions commencées par eux et que l'on continue comme si elles étaient des actions du corps propre, l'acte de suivre le chef, la pitié, la collaboration aussi bien que la rivalité, la lutte et la haine sont devenues des actions bien systématisées. En même temps par un retour sur soi-même apparaissent les tendances personnelles, les tendances à se distinguer des autres, à jouer un rôle, à augmenter le corps propre par toutes sortes d'acquisitions. Ce sont toutes ces actions qui ont préparé les conduites conscientes que l'on a trop souvent le tort de considérer comme primitives.

Le caractère essentiel de ces conduites socio-personnelles me paraît être la collaboration des tendances. L'individu ne réagit plus seulement aux stimulations qui viennent du monde extérieur, il réagit à ses propres actions. Un nouveau mouvement est provoqué par le mouvement précédent comme si celui-ci était devenu une stimulation particulière. L'animal social ne collabore pas seulement avec les autres, il collabore avec lui-même, il surveille, il arrête, il complète ses propres actions. C'est là, si l'on veut, une variété des réflexes appelés proprio-ceptifs, mais une variété particulière qui est devenue le point de départ des phénomènes de conscience. L'acte conscient s'est constitué en même temps que les actes sociaux et ce degré d'évolution peut être appelé le stade des tendances socio-personnelles.

La plupart des animaux n'ont que des conduites appartenant à l'un ou à l'autre des deux groupes précédents, des actes perceptifs ou des actes socio-personnels. Certains hommes dégénérés, certains idiots se comportent de la même manière et ne dépassent pas ce niveau.

Nous trouvons au-dessus les actes qui constituent l'intelligence élémentaire, les premières tendances intellectuelles. Ces actes apparaissent 1 Les tendances sociales et le langage, Cours de 1911–12; les premières tendances intellectuelles, Cours de 1912-13.

en germe et exceptionnellement chez certains animaux supérieurs et ce stade est en quelque sorte intermédiaire entre l'animal et l'homme. Nous ne connaissons guère de peuplade sauvage qui soit encore uniquement à ce niveau: les individus que l'on appelle des primitifs et auxquels on attribue l'intelligence dite prælogique sont comme nous allons le voir au niveau immédiatement supérieur. On pourrait dire que parmi les dégénérescences, l'imbécilité au moins dans ses formes inférieures correspond à cet état d'esprit.

Pour comprendre cette forme d'activité je vous proposerai d'étudier les conduites relatives à certains objets tout particuliers, par exemple les conduites relatives à un panier de pommes. Nous trouvons là d'abord les conduites perceptives relatives à des pommes, objets comestibles, petits, pleins, nombreux: chacun de ces caractères correspond à des mouvements particuliers. Nous y trouvons aussi les conduites perceptives relatives au panier, objet non comestible, grand, vide, unique, c'est à dire réclamant des mouvements différents. La conduite du panier de pommes, pour résumer ainsi les actes qui sont provoqués par lui, contient évidemment quelque chose de chacunes de ces conduites, mais elle ne correspond exactement ni aux unes ni aux autres. Elle comprend en particulier deux sortes d'actions qui n'appartiennent ni aux pommes, ni au panier, l'acte de remplir le panier de pommes et l'acte de vider le panier. Ces deux actes qui sont caractéristiques de la conduite du panier de pommes contiennent l'un et l'autre des parties appartenant aux pommes et des parties appartenant au panier, mais ces actes sont mélangés, combinés ensemble à des degrés divers; dans l'un la conduite du panier prédomine, dans l'autre la conduite des pommes. Nous pouvons faire les mêmes remarques sur les conduites relatives à l'image, à la statue ou au portrait: il y a là des actes perceptifs correspondant à l'animal ou à l'individu dont c'est la statue ou le portrait et des actes perceptifs correspondant à la pierre ou au papier dont est faite l'image. On ne peut supprimer complètement ni l'un ni l'autre: se comporter complètement devant une image d'un animal comme on ferait devant l'animal lui-même, c'est se laisser prendre à un trompe-l'œil et non avoir la conduite de l'image. Celle-ci réclame une combinaison des deux conduites perceptives précédentes comme on le voit dans les deux actes caractéristiques de faire le portrait et de reconnaître le portrait où les deux éléments apparaissent à des degrés inégaux.

Un certain nombre d'objets réclament des conduites analogues, par exemple le drapeau, l'outil, le tiroir de l'armoire, la place du village, le chemin, ce sont des objets intellectuels. A propos de tels objets il y a

toujours combinaison de deux conduites perceptives et suivant la prédominance de l'une ou de l'autre il y a toujours deux actes caractéristiques, fabriquer l'outil et se servir de l'outil, tracer le chemin et suivre le chemin, etc. Cette combinaison de deux conduites perceptives en un seul acte synthétique me paraît le caractère propre des premières conduites intellectuelles. Ces conduites ont, si je ne me trompe, leur point de départ dans les actes sociaux, dans le besoin de modifier les actes individuels par l'addition de caractères particuliers afin de les rendre sociaux, de les rendre intelligibles aux autres, c'est à dire de permettre les réactions sociales.

C'est au milieu de ce groupe de tendances combinées et en même temps qu'elles que s'est constitué le langage qui est une conduite du même genre. La conduite de l'homme qui parle et la conduite de l'homme qui est parlé (si je puis me permettre l'emploi si utile de ce verbe au passif) sont sorties des actes du commandement et de l'obéissance qui existaient déjà chez l'animal. Mais chez les premiers êtres vraiment intelligents il y a eu à ce propos une combinaison des conduites relatives au cri, à la parole, et des conduites relatives à l'exécution des actes. Cette combinaison a donné naissance aux conduites relatives au signe comme précédemment aux conduites vis-à-vis du panier de pommes ou du portrait.

Ces conduites combinées et en particulier la plus importante, le langage, ont transformé les conduites précédentes et les ont intellectualisées. Le mot s'est ajouté à tous les actes et il a précisé la notion d'objet et d'individu. La plus grande intellectualisation a été la formation de la mémoire qui est une opération beaucoup plus tardive qu'on ne le croit généralement quand on confond la mémoire avec la simple conservation des tendances1. La mémoire est une certaine transformation de l'action de telle manière qu'elle puisse être communiquée même à des absents. La mémoire est d'abord le commandement aux absents avant d'être le commandement des absents. C'est grâce à cette adaptation à l'absence que la mémoire a pu être adaptée à une propriété remarquable des choses celle de devenir passées. Le passé et la mort ne sont primitivement qu'une absence prolongée. Mais il a fallu pour cela une modification remarquable de la conduite. Les tendances ne peuvent pas s'activer d'ordinaire indépendamment de l'événement qui leur a donné naissance et qui est leur stimulant. Le soldat se bat en présence de l'ennemi, mais il ne se bat plus quand celui-ci n'est plus là. La sentinelle placée aux portes du camp a dû à l'approche de l'ennemi con1 Cf. Les médications psychologiques, 1919, п. p. 272

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