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Hughlings Jackson avait rapproché la parole articulée de l'acte moteur volontaire. Or, bien plus tard, Brailsford Robertson a fait remarquer, à propos de celui-ci, qu'il existe, soit dans le tissu nerveux central, soit dans le système neuro-musculaire périphérique, une résistance analogue au frottement et qui exige un effort donné pour céder et pour laisser la réaction se faire. Les choses se passent exactement comme pour un corps pesant placé sur le plan incliné: il ne commence à se mouvoir que lorsque l'inclinaison du plan a atteint un certain degré. Nous serions tenté de dire, pour continuer la comparaison, que, chez l'aphasique, l'inclinaison du plan est fonction de la libre circulation de l'énergie

nerveuse.

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Nous savons que celle-ci s'extériorise sous forme de contractions des muscles phonateurs; mais, nous ne saurions trop y insister maintenant, il semble bien qu'au cours des phénomènes aphasiques, il s'agisse de complexes psycho-moteurs plus hautement spécialisés et dont le champ d'action n'est nullement, de façon exclusive, les muscles phonateurs. Sans doute, le jeu de ceux-ci est le plus apparent, mais il n'est certainement pas le seul. Ainsi que nous l'avons vu, en relatant les observations de Van Woerkom, et comme le montre certaines des épreuves imaginées par M. Head, l'aphasique présente des troubles de la spatialité qui, pour n'être pas apparents à un examen portant uniquement sur la fonction du langage, n'en sont pas moins très importants; il nous a semblé que ceux-ci constituaient un trouble général portant sur la fonction de découpage et d'opposition, dont l'aphasie ne paraît être qu'un cas particulier.

Nous en arrivons ainsi à considérer, d'accord en cela avec M. Head, que, même dans le cas de l'aphasie motrice, il n'y a pas d'anarthrie, au sens étymologique du mot, mais que le découpage et l'opposition qui interviennent normalement dans le fonctionnement de l'intelligence ne peut plus se faire, parce que l'attitude psycho-motrice complexe, qui est le substratum objectif du processus, n'est plus en mesure de se faire. Cette hypothèse a, croyons-nous, quelques avantages.

D'une part, en effet, elle est bien en accord avec ce que l'anatomie comparée nous apprend sur l'origine et la fonction du cortex. Rappelonsnous ici les savants travaux d'anatomie comparée de M. Elliot-Smith. Mais, surtout, c'est à une autre partie de l'œuvre de M. Head, à celle qui a trait à la participation respective de l'écorce et du thalamus dans les phénomènes de sensibilité, que nous sommes redevables d'une connaissance plus approfondie des caractères de l'activité corticale. Or n'a-t-il pas montré que la discrimination, la différenciation, le découpage

en un mot, étaient caractéristiques de l'activité corticale, tandis que l'indifférenciation, le caractère diffus, qui est une qualité attachée aux phénomènes affectifs, était caractéristique de l'activité thalamique? Si nous nous reportons à ce que nous avons déjà dit, nous aurions été tentés, si nous n'avions craint tout d'abord de ne point nous faire comprendre, de remplacer l'expression d'instinct par celle d'activité thalamique. Rappelons-nous aussi que la dissolution de certains des processus les plus élevés de l'activité cérébrale provoque l'apparition d'un état d'hyper-réaction affective bien connue de tous ceux qui ont étudié les aphasiques. M. Drever n'a-t-il pas soutenu, par ailleurs, que l'instinct est non seulement lié à l'activité, mais à l'émotion?

Ce n'est pas sans une légitime satisfaction qu'en prenant connaissance du mémoire de M. Head, nous avons trouvé ce rapprochement du langage et de la fonction spatiale du cortex, que l'étude de ses travaux antérieurs nous avaient suggéré: "La ligne suivant laquelle les centres supérieurs du cerveau progressaient se manifestait par l'augmentation du pouvoir de distinguer les variations d'intensité, de similitude et de différence et les relations dans l'espace. A cela fut ajouté le langage, qui, à part ses côtés le rattachant aux émotions, sert à exprimer ces relations. Des symboles définis, comme les mots et les nombres, furent inventés pour enregistrer ces attributs." M. Head se sépare, par contre, de notre point de vue plus uniaste, car il ajoute: "Mais ce ne sont pas les seuls facteurs qui peuvent être touchés dans les troubles de la pensée symbolique et de l'expression1." N'est-il pas caractéristique, d'autre part, que certains auteurs, comme M. de Monakow et son école, en arrivent à désigner l'activité corticale globale du terme de spatialité?

Ce qui montre bien, d'ailleurs, que, dans l'aphasie, les phénomènes intéressant à nos yeux les organes de la phonation sont secondaires; c'est que la haute spécialisation des innervations musculaires (mélodies kinétiques de M. de Monakow) que nous constatons dans le langage, peut se réaliser en dehors de celui-ci. Sans parler de la mimique et du geste, sur la signification desquels il serait trop long de nous étendre, l'exemple des sourds-muets est banal. Sans doute il n'est plus guère donné, aujourd'hui, d'observer des sourds-muets à développement cérébral normal, en raison de la perfection des méthodes d'éducation phonétique. Nous avons cependant connaissance d'une observation du Prof. Grasset, où la paralysie du bras droit était assez incomplète pour ne pas expliquer à elle seule l'impuissance où était le sujet de parler avec sa main droite le langage habituel des sourds-muets.

1 Loc. cit. pp. 160-161.

Sans doute ce cas n'est pas aussi intéressant, en raison de l'âge du sujet et du caractère peut-être diffus des lésions, que les observations faites sur des blessés du cerveau, jeunes et résistants, mais il n'en reste pas moins que les troubles observés sont exactement superposables à ceux des aphasiques ordinaires:

Si on lui dit de réciter avec sa main droite l'alphabet des sourds-muets, il commence, essaie, fait péniblement l'a, plus péniblement le b, essaie vainement le c et y renonce, impatienté. Alors avec sa main gauche, il dessine tout l'alphabet avec autant de vitesse que d'exactitude.

De même si on lui montre des lettres et qu'on le prie de les lire tout haut, il essaie inutilement de le faire avec sa main droite, mais le fait correctement avec sa main gauche1.

Il est donc bien réellement aphasique de la main droite, dans la vraie et seule acception du mot. En même temps, il est agraphique. Autrefois, il écrivait, paraît-il, fort bien. Aujourd'hui il ne peut plus. Il ne veut même plus essayer, convaincu qu'il est de son impuissance qui l'humilie et l'impatiente. Et les deux impotences ne sont pas justifiées par la paralysie du bras droit....2

Il est regrettable, pour la question qui nous occupe, que nous ne possédions pas, à notre connaissance du moins, d'autres cas de ce genre étudiés avec une technique plus approfondie. C'est pourquoi nous n'en retiendrons ici qu'un seul point, c'est que la haute différenciation des innervations musculaires n'a pas d'appareil d'élection pour l'extériorisation du langage. Ce qui est essentiel (et le cas des sourds-muets est typique à cet égard) c'est, si nous pouvons nous exprimer ainsi, l'existence d'une fonction d'innervation psycho-motrice permettant à la pensée de se fractionner. Tout se passe comme si l'intelligence était un mouvement discontinu, qui se fractionne à divers degrés et suivant divers modalités. Elle ne paraît pas pouvoir fonctionner sans être pour ainsi dire soustendue non par le langage (ce qui est un cas particulier) mais par un mouvement de même forme générale, sinon réalisé, du moins esquissé. C'est pourquoi l'absence du langage phonétique n'est nullement une raison, du moins pour les vertébrés supérieurs, de poser à priori l'impossibilité de quelque chose ressemblant à l'intelligence humaine chez les animaux.

Par là nous entrevoyons comment la théorie de l'aphasie rejoint la physiologie générale du système nerveux, mais ici une remarque capitale est nécessaire. C'est artificiellement que nous avons parlé jusqu'à

1 En ceci, de même que pour la récitation des lettres, ce malade est évidemment totalement différent des aphasiques ordinaires qui n'ont qu'un seul appareil effecteur à leur disposition.

2 Grasset, "Aphasie de la main droite chez un sourd-muet " Progrès médical 31 octobre

maintenant de la fonction du langage en général. Comme l'a bien exposé de Monakow, reprenant un point de vue exprimé cliniquement par H. Jackson, c'est ici que la théorie de la localisation chronogène trouve sa plus intéressante application. Dans l'individu comme dans la race, primitivement les organes utilisés pour la phonation servent presque exclusivement à la nutrition et à la respiration. Peu à peu, au cours de l'évolution phylogénique et ontogénique, ces mêmes organes, pour pouvoir servir à l'expression de la parole, ont acquis de nouvelles formes de mouvements infiniment plus différenciés. Ceux-ci sont représentés au niveau du cortex sous forme de mélodies kinétiques, et non pas exclusivement au niveau de l'operculum rolandique et de l'operculum frontal. C'est en ce sens seulement que, d'après de Monakow, on peut parler de centres phylogénétiquement plus jeunes, dont l'organisation physiologique est encore aujourd'hui très obscure. Ayant particulièrement en vue ici la question générale des rapports du langage et de l'intelligence sensu stricto, il n'est pas inutile de faire remarquer que ce sont naturellement les degrés supérieurs du langage, ceux qui sont généralement atteints en premier lieu par la dissolution, que nous avons constamment envisagés.

A ce stade nous avons vu qu'il est absolument impossible, comme P. Marie l'avait remarqué au point de vue clinique mais sans précision psychologique, de séparer les troubles du langage d'un trouble plus général, plus étendu de l'activité corticale tout entière. D'un côté comme de l'autre, c'est l'absence de différenciation, de découpage, d'opposition qui nous a frappé. Envisageant ensuite le problème du point de vue moteur, sans avoir jamais eu à nous occuper des images, ce sont des complexes moteurs dont la différenciation avaient subi la même atteinte que nous avons été amenés à envisager.

Il n'entre pas dans nos vues d'étudier le détail des phénomènes, qui constitue un monde; il nous suffira d'avoir montré d'une part que, dans ses éléments différenciés, intelligence et langage étaient en union intime-parce que tous deux coulés dans le même moule mais qu'au delà, la vaste région de la pensée, nous voulons dire de l'intuition, de l'instinct et de la volonté, non seulement restaient intacts dans l'aphasie à lésions circonscrites mais acquéraient, pour ainsi dire, un renouveau de vie. Il semble bien que ce soit ce dernier phénomène qui permette de se rendre compte du fait que beaucoup d'aphasiques peuvent continuer à vivre dans leur famille. La distinction capitale des deux genres d'activité psychique nous paraît fondamentale quand on tente d'évaluer le niveau mental des aphasiques.

Et cependant, arrivé au terme de ce travail, nous avons pleine conscience de l'insuffisance de nos analyses grossières au regard de la complexité des faits. On nous excusera en songeant aux obscurités naturelles de beaucoup de passages de l'auto-observation du Dr Saloz, qui, pourtant, parlait, lui, de son aphasie vivante.

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