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C'est aussi à la complexité que l'on peut rattacher la différence frappante que l'on constate entre les actions effectuées sans conscience, avec distraction et les actions accompagnées de conscience personnelle, c'est à dire compliquées par la réaction personnelle qui est l'essentiel de la conscience. C'est aussi à cette observation qu'il faut rattacher la difficulté des actions sociales. Une action faite quand on est seul est toujours plus simple et plus facile qu'une action faite devant témoins. La présence d'autres hommes quand on la perçoit, apporte toujours de la complication à l'action et cette complication va croissant dans les diverses actions sociales: l'acte accompli devant des spectateurs est plus simple que l'obéissance, l'obéissance quoique déjà plus compliquée est plus simple que le commandement et surtout plus simple que la collaboration qui demande des alternatives de commandement et d'obéissance. C'est pourquoi il ne faut pas se figurer que l'on rend toujours une action plus facile quand on prétend aider celui qui agit. Très souvent cette aide complique énormément l'action et tel malade peut encore faire une action quand il est tout seul, mais en devient incapable quand une autre personne veut le regarder, le surveiller, le commander et surtout l'aider.

La complication ne signifie pas seulement la multiplicité des actions successives ou simultanées qui sont déclenchées à la suite d'une seule stimulation, elle implique un autre caractère, c'est l'unité de la combinaison. Certains individus nous semblent faire des actions nombreuses, séparées les unes des autres ayant chacune une courte étendue dans l'espace et dans le temps: un petit oiseau vole, se pose, saute quelques pas, mange un grain, pousse un petit cri, selon des circonstances extérieures et accidentelles sans que tous ces actes semblent réunis entre eux. D'autre part nous savons que des hommes peuvent préparer un projet d'avenir, le caresser pendant des mois et des années, y subordonner toutes leurs actions, employer leur vie à le réaliser: les actions sont alors étroitement réunies par une certaine unité. De quoi dépend cette unité? Il est probable qu'une certaine tendance est maintenue présente à un degré d'activation plus ou moins complet pendant toute la série des actions partielles qui sont modifiées par sa présence. Mais peu importe en ce moment: il nous suffit de constater ce degré plus ou moins grand d'unification des actions complexes. C'est ce caractère qui se retrouve dans une foule de phénomènes psychologiques, dans la réflexion prolongée, dans le projet, dans l'essai, dans la recherche scientifique, dans une foule d'actions importantes et puissantes.

Une autre notion doit s'ajouter à ces remarques sur les degrés de complication de l'action, c'est la notion de l'évolution des tendances.

Les tendances qui constituent l'esprit n'ont pas toutes été formées au même moment: les unes sont bien plus récentes que les autres. Il y a en nous des tendances anciennes contemporaines des premiers animaux, d'autres ont été acquises par les premiers hommes, certaines acquisitions sont de date récente et enfin certaines actions sont transformées par nous-mêmes dans le moment présent. Ces diverses tendances à des actes de plus en plus compliqués et de plus en plus récents se superposent les unes aux autres à propos d'un même objet. Il semble en apparence qu'il s'agit d'une seule et même fonction qui se complique de plus en plus. Toutes les fois que les hommes prennent de la nourriture, il s'agit en somme de l'acte de manger. Mais cet acte de l'alimentation ne reste simple que dans des cas très particuliers; il se complique très vite si nous devons manger devant d'autres hommes et en même temps qu'eux, il peut devenir très délicat quand il doit se faire suivant certaines règles du savoir vivre et quand en le faisant nous nous exposons à la critique des autres. C'est ce que je montrais autrefois quand j'essayais d'indiquer combien la simple alimentation diffère de l'acte de dîner en ville en portant un habit noir et en parlant à sa voisine. Il en est de même pour les actes génitaux qui ont une base très simple et très ancienne et qui se compliquent à l'infini par l'addition de tendances sociales, puis d'actes intellectuels à propos de conséquences possibles, puis de tendances à la critique morale, etc. On croit qu'il s'agit toujours de la même action, mais en réalité l'acte s'est transformé en se perfectionnant et en devenant plus adapté par l'évolution. Il a pris une perfection toute particulière, bien distincte de sa qualité primitive et même de sa force.

Si tous ces caractères d'efficience, de complexité, de systématisation, d'évolution étaient bien connus à propos de chaque action, il serait facile d'apprécier l'acte et de noter son degré de perfection. Mais toutes ces études sont rudimentaires et encore bien difficiles, aussi me semble-t-il intéressant d'insister sur une méthode d'observation qui peut en pratique nous renseigner assez bien sur le degré d'évolution des actes et sur leur degré de perfection psychologique.

Nous observons facilement par l'étude des diverses maladies mentales que les tendances les plus récentes sont de toutes les plus fragiles. On s'étonne à tort de voir qu'un malade ne modifie pas ses convictions par l'expérience des insuccès, de constater qu'il est inaccessible à l'expérience. L'aptitude à modifier ses tendances non par l'habitude, mais par un petit nombre d'expériences auxquelles on attribue une grande force, est une disposition très récemment acquise, qui n'est même pas encore

égale chez tous les hommes et qui disparaît très aisément. On parle sans cesse des troubles de la mémoire, de l'incapacité de fixer des souvenirs nouveaux, de la maladresse pour utiliser les souvenirs, pour appeler au secours dans une situation présente tous les souvenirs qui s'y rattachent. Mais il faut bien comprendre que la mémoire est une opération fort élevée et tardive et que l'usage de la mémoire personnelle dans la conduite est une sorte de méthode expérimentale qui s'est développée plus tard encore et que toutes ces opérations fragiles sont très aisément atteintes par la maladie. Les actes compliqués et systématisés sont atteints de la même manière: nous venons de voir que l'alimentation et les actes sexuels se sont infiniment compliqués, c'est pourquoi il y aura si facilement des troubles du dîner en ville, c'est pourquoi il y aura toute une pathologie des fiançailles et du voyage de noces. Enfin il est évident que la maladie réduit l'efficience des conduites: le malade est de plus en plus incapable d'étendre son action dans l'espace et dans le temps et à la fin le dément ne peut même plus entretenir sa vie sans le secours des personnes qui l'entourent.

Si les actes les plus élevés et les plus parfaits disparaissent les premiers, au contraire les actes primitifs et simples subsistent plus longtemps et souvent se présentent même avec une force plus considérable. M. Head nous a montré dans un domaine plus restreint où les vérifications scientifiques sont plus précises la disparition de la sensibilité épicritique et la persistance ou même l'augmentation de la sensibilité protopathique dans les altérations du système nerveux. Au fond c'est là un fait bien simple: après les terribles bombardements qui ont dévasté nos villes, les toits des maisons et les étages supérieurs sont détruits mais les caves subsistent et prennent même plus d'importance car on se met à les habiter. Inversement quand la maison se reconstruit ou quand les maladies mentales se guérissent et que les fonctions mentales se restaurent, on voit les caves et les fonctions inférieures perdre de leur importance, on voit au-dessus réapparaître les actes plus compliqués et plus récents et enfin les plus parfaits viennent restaurer le sommet de l'édifice.

Ces études sur les décadences graduelles et les restaurations progressives au cours des maladies de l'esprit peuvent nous procurer une méthode pour apprécier la valeur de telle ou telle opération psychologique dont nous apprécions mal la complexité et l'évolution. Prenons comme exemple les opérations psychologiques si importantes qui sont caractérisées par le travail. Nous verrons dans notre prochaine leçon que le travail joue un rôle considérable dans une foule de conduites. Il est facile de rechercher ce que deviennent ces conduites du travail chez les

malades qui ont des névroses périodiques avec abaissement et relèvement progressif et régulier de l'esprit. Le travail est troublé ou disparaît dans la plupart des névroses dépressives et cela dès le début. Les tics professionnels, les phobies et les obsessions professionnelles, les aboulies professionnelles sont bien connues. Dès que la dépression est profonde, tout travail devient impossible et cependant bien des opérations psychologiques, le raisonnement, l'imagination, le langage, les perceptions subsistent parfaitement. D'autre part, quand le malade se relève, le travail réapparaît graduellement en passant d'une manière inverse par les mêmes phases qu'au début. N'est-il pas logique d'en conclure que le travail est une opération compliquée et tardive qui s'élève au-dessus de la plupart des autres opérations psychologiques? La même étude peut être faite sur les autres opérations mentales, soit chez les mêmes malades, soit chez ceux qui présentent des abaissements profonds et subits dans des syncopes, dans des accès épileptiques et chez lesquels on peut assister au réveil, au relèvement graduel des fonctions.

Ce sont ces diverses études d'analyse psychologique, d'histoire de l'évolution humaine et d'observation médicale qui peuvent nous fournir les éléments du tableau hiérarchique des tendances psychologiques. Ce tableau si important disposerait toutes les actions les unes au-dessus des autres suivant leur ordre de perfection et d'évolution. Sans doute nous rencontrerons bien des difficultés, car les actions humaines peuvent prendre bien des aspects différents: une action inférieure peut simuler une action supérieure qui est en réalité absente, la même action peut ne pas avoir la même valeur chez tous les hommes. Mais toutes ces difficultés peuvent être diminuées par des examens soigneux et des comparaisons suffisamment larges et on trouvera que les grandes lignes de cette hiérarchie sont à peu près les mêmes chez tous les hommes.

Nous rencontrons également bien des difficultés quand nous essayons d'appliquer ces notions sur la valeur hiérarchique des actes à des conduites complexes prolongées pendant un certain temps. Ces conduites contiennent des actes nombreux qui semblent être de valeur inégale. Il est probable cependant que ces diverses actions sont moins différentes qu'elles ne paraissent et qu'elles appartiennent pour la plupart à un même niveau. Il faut d'ailleurs tenir compte surtout du niveau des actes les plus élevés qui donnent leur caractère à la conduite considérée. D'autre part tous ces actes surtout les plus élevés ne sont pas toujours terminés et n'arrivent pas toujours à leur activation complète : une tendance à la réflexion, à l'effort moral qui reste à l'état imparfait de désir n'a pas la même valeur qu'un acte de réflexion ou de travail entièrement

effectué. Je ne fais que signaler ces difficultés d'appréciation, car je crois qu'elles peuvent être surmontées et qu'il est très important d'apprécier les conduites à ce point de vue.

Il nous faut donc ajouter à la notion de la hiérarchie des tendances celle de la tension des conduites ou de la tension psychologique en général. Il y a des conduites de basse tension dans lesquelles des tendances inférieures sont seules en exercice et des conduites de haute tension qui réclament la mise en jeu de tendances élevées dans la hiérarchie et leur activation complète. Un esprit aura une faible tension quand il sera forcé de se contenter souvent des actions du premier genre, il aura une forte tension quand il exécutera facilement et fréquemment des actions du second genre. Il y aura d'ailleurs entre ces deux extrêmes d'innombrables intermédiaires. D'une manière générale le degré de la tension psychologique ou l'élévation du niveau mental d'un individu dépend du degré qu'occupent dans la hiérarchie les tendances qui fonctionnent en lui et du degré d'activation auquel il peut porter les plus élevées de ces tendances. Ainsi entendue la tension psychologique joue un rôle extrêmement important dans l'interprétation des conduites normales ou pathologiques et dans l'intelligence des caractères.

Pour ne prendre que quelques exemples, la mesure de cette tension nous permettra de déterminer les conduites de même niveau qui seules peuvent être comparées entre elles et considérées comme équivalentes1. Elle permettra surtout de comprendre les lois de la force psychologique, car la force mesurée seule ne donne aucun renseignement précis sur la valeur d'une conduite et nous amène à ces contradictions bizarres que nous venons de signaler. Comme je le disais dans mon dernier livre, Il est probable que dans la conduite normale chez des individus bien équilibrés une certaine relation doit être maintenue entre la force disponible et la tension et qu'il n'est pas bon de conserver une grande force quand la tension a baissé, il en résulte de l'agitation et du désordre2. Une comparaison permet d'illustrer cette loi peu connue: des individus qui n'ont pas l'habitude de l'ordre et de l'économie ne savent pas se conduire et font des actes dangereux s'ils ont entre les mains tout d'un coup une grosse somme d'argent. "Si je me suis abominablement enivrée," me dit une pauvre femme, "c'est la faute de mon patron qui m'a remis à la fois 70 francs; je ne puis tolérer à la fois que 25 francs, que voulez-vous, 70 francs je ne sais qu'en faire, alors je les bois." La tension psychologique grâce à l'exécution des actes élevés qui sont coûteux et avantageux, 1 Les médications psychologiques, 1919, п. pp. 18, 19.

2 Op. cit. II. pp. 301–303.

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