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thèse de MM. P. Marie et Moutier, qui identifient pensée et langage; car, parti des troubles grossiers de l'orientation spatiale présents chez le même malade, nous voilà revenus au problème de la pensée symbolique (Head).

C'est qu'en effet, de même qu'il ne lui était pas possible de découper dans l'espace homogène les diverses directions par rapport à son corps, de même il ne pouvait pas découper les diverses unités concrètes qu'on lui mettait devant les yeux, ni découper dans le temps la succession des sons, ni découper les lettres dans l'écriture, ni découper à l'aide des mots la continuité plus ou moins homogène de sa pensée.

M. Head a rapporté plusieurs faits du même genre finement analysés; chez plusieurs de ses malades, la notion de la relation de divers objets dans l'espace paraît absente. Il note plusieurs fois chez ses aphasiques la difficulté qu'ils ont de dresser un plan de lieux familiers, à moins qu'on ne leur donne des points de repère. La même notion de rapport appliquée non plus à l'espace mais à la suite logique de faits de la vie courante se retrouve dans l'exemple suivant de M. Head:

Le no 10 se souvenait qu'en achetant du tabac il plaçait deux shillings sur le comptoir et recevait deux onces de tabac et trois pence de monnaie, mais il ne pouvait dire combien lui coûtait le tabac. Il pouvait enregistrer les faits correctement, mais ne pouvait les relier les uns aux autres1.

Tout se passe donc comme si la pensée du sujet se présentait tantôt comme une masse indifférenciée, tantôt comme formée d'unités isolées. Dans les deux cas, toute opposition est impossible.

Tous ces faits montrent bien, comme y insiste M. Head, que le terme d'aphasie est absolument faux en ce sens que ce qu'on appelle vulgairement le langage est loin d'être seul atteint. Pour M. Head, la notion de pensée symbolique et expression, destinée à renouveler la vieille conception de l'aphasie basée sur la psychologie substantialiste, déborde le cadre du langage, cette désignation ayant été choisie, nous dit l'auteur, parce que les troubles les plus graves et les mieux définis ont été constatés dans l'emploi des mots, des nombres et autres symboles. M. Head reconnaît cependant qu'on ne peut supposer que cette expression définisse exactement les limites et l'étendue de la perte actuelle de la fonction, qui peut être découverte avec la série si ingénieuse des tests qu'il a proposés.

Le point de vue que nous esquissons ici n'est que le prolongement de ses idées, en ce sens que la notion de pensée symbolique et expression d'une exactitude clinique rigoureuse, ne serait pour nous qu'un cas

1 Loc. cit. p. 161. Souligné par nous.

particulier de la notion d'opposition. Certains des phénomènes sur lesquels M. Head insiste à plusieurs reprises, tel que le fait que certains sujets (les anarthriques par exemple) imitent parfaitement bien le geste accompli derrière eux devant une glace, mais ne peuvent le reproduire placé face à face avec l'expérimentateur, nous paraissent pouvoir être interprétés dans un sens différent et plus simplement que ne le fait l'éminent neurologiste.

M. Head suppose, dans ce cas, que le sujet invité à imiter par exemple le mouvement du bras de celui qui est devant lui, doit faire agir son langage intérieur et mettre d'abord sous forme de proposition l'acte à accomplir (acte à intermédiaire symbolique verbal), tandis qu'en face de la glace, il s'agit d'une simple imitation. Ne serait-il pas possible, dans certains cas du moins, d'interpréter le phénomène en terme de mouvements; le sujet ne pouvant exécuter la transposition spatiale nécessitée pour l'imitation des mouvements de l'expérimentateur placé devant lui? Remarquons d'ailleurs que, dans le cas de l'intermédiaire du langage intérieur supposé par M. Head, il s'agit encore de l'atteinte de la même fonction d'analyse et d'opposition. C'est le seul point qui doive nous retenir ici.

M. Head fait également remarquer que si on demande au même sujet de décrire les mouvements qu'il voit dans le miroir, il fait de grossières erreurs. Ne pourrait-on pas admettre que l'acte imité correctement devant le miroir l'est par suite d'une intuition immédiate, sans que la décomposition du mouvement intervienne nullement, tandis que l'expression verbale ne peut exister sans cette décomposition? Qu'il s'agisse de langage ou de mouvements, plus le nombre des alternatives possibles, c'est-à-dire au fond des rapports, sera grand, plus il sera certain que l'action désirée sera défectueuse. Cette remarque est de M. Head lui-même.

Le même auteur a mis en lumière, pour la première fois croyonsnous, dans ce qu'il appelle aphasie sémantique, un symptôme qui nous paraît d'un grand intérêt psychologique. Il s'agit de ce qu'il appelle l'ultime intention du symbole; rappelons un de ses exemples: 'Le no 10 comprenait les mots Été et Heure et était sûr que Heure d'été signifie que les horloges sont changés avec la venue de l'été. Mais il était absolument incapable de dire si on les avançait ou si on les retardait, et essayait en vain de résoudre le problème1." M. Head ajoute très justement que si ces mêmes malades ne peuvent additionner ou soustraire avec certitude, c'est parce que ce sont les processus de l'arithmétique qui

1 Loc. cit. p. 161.

ont été perdus et non la signification directe des nombres. Comme on le voit, c'est encore ici la fonction de découpage et d'opposition de l'intelligence dont nous retrouvons l'atteinte.

Que, maintenant, ces mêmes malades soient atteints, également et dans le même sens, dans leurs actes, c'est ce qu'a très finement observé M. Head:

Ainsi quand le no 10 arrangeait avec du fil un cadre de ses ruches, il pouvait faire ce travail s'il consistait à passer le fil d'un côté à l'autre du cadre, puis à revenir l'enfiler dans des trous voisins, mais aussitôt qu'il voulait aller d'un coin à l'autre, il ne pouvait. Il pouvait accomplir un acte continu, mais était embarrassé si la discontinuité du travail l'obligeait à formuler son intention. De la même façon un jeune officier, le no 1, était incapable de mettre son ceinturon quand les coulants avaient été déplacés1.

Lorsque M. Head nous dit qu'un malade, incapable de mettre une montre à l'heure sur ordre verbal, le fait correctement lorsqu'il règle par la vue sa montre sur une autre, peut-être n'est-il pas nécessaire de voir dans les deux cas un phénomène de nature essentiellement différente. Dans l'ordre verbal de: "Mettez votre montre à 5 heures moins le quart," il s'agit pour le sujet de la réalisation mentale d'un grand nombre de rapports (rapport de temps, de propriété (car il s'agit de la montre qui lui appartient et non d'une autre), rapport de l'heure par opposition à la minute, opposition du plus et du moins, etc.). Au contraire dans l'acte de régler spontanément par la vue la montre à 5 heures moins sur une autre, il ne s'agit que du rapport spatial respectif des deux aiguilles. De même si le même malade peut exécuter correctement l'ordre verbal: “Mettez la montre à 4 h. 45," et ne peut exécuter celui de "Mettez la montre à 5 heures moins le quart," c'est peut-être parce qu'il s'agit, dans ce dernier cas, d'un rapport negatif portant non sur des objets concrets mais sur une unité abstraite et conventionnelle.

L'acte le plus complexe et le plus différencié, partant le plus instable, a disparu, laissant subsister l'acte plus simple et moins différencié (Hughlings Jackson). Ce qui fait, semble-t-il, comme l'a très justement observé M. Head, que plus une action symbolique se rapproche d'une forme propositionnelle, plus elle présentera de difficultés, c'est, semblet-il qu'il s'agisse de langage sensu stricto ou de mouvements, parce que nombre des rapports possibles augmente en proportion.

Dans l'auto-observation du Dr Saloz, nous voyons que tantôt le mot est prononcé avec absence de sa notion compréhensive, tantôt il y a conservation de l'idée intuitive du mot avec erreur de prononciation, tantôt, enfin, le malade remarque qu'il tenait la lettre, la syllabe ou le

1 Loc. cit. p. 162. Souligné par nous.

mot en puissance, mais que, par le fait d'un accroc intempestif, les voies psychologiques, suivant l'expression pittoresque dont il se sert, ont été subitement comprimées, déviées, oblitérées, coudées, etc., ou peut-être inhibées temporairement dans certaines circonstances. Les mêmes images reparaissent encore sous la plume de l'auteur lorsque, à propos de ses exercices de rééducation, il remarque la désharmonie existant dans son esprit entre la lettre, la syllabe et le mot. Remarquons que ce sont toujours des comparaisons d'ordre spatial qu'il emploie pour se faire comprendre: "J'avais toujours l'impression d'une difficulté énorme à suivre ma voie en ligne droite." Lorsque nous rapprochons ces faits des phénomènes de désorientation spatiale, tels que ceux relevés dans le cas de l'aphasique étudié par Van Woerkom, peut-être est-on fondé à prendre les expressions sur lesquelles nous avons attiré en passant l'attention, non plus dans un sens métaphorique, mais dans un sens réel.

On peut se demander, cependant, si l'importance que nous accordons aux éléments musicaux du langage n'est pas excessive et, dans tous les cas, si elle ne s'appliquerait pas exclusivement à certains malades, à ceux atteints d'aphasie dite motrice. L'expression d'aphasie, malheureusement conservée par l'usage, est une expression .absurde, comme l'a montré Hughlings Jackson. Un aphasique, contrairement à l'étymologie du mot, n'est jamais totalement dépourvu de langage; ce qui lui en reste semble pouvoir s'interpréter très bien par le degré de la dissolution et le niveau mental du sujet au moment considéré. C'est là un des côtés les plus originaux et les plus profonds de la pensée d'Hughlings Jackson et une question qu'il n'entre pas dans nos vues d'exposer ici. Nous considérons ici seulement la nature de la fonction atteinte, lorsque les malades ne parlent pas ou parlent incorrectement.

Quant à la question de savoir si notre représentation des phénomènes aphasiques est unilatérale, c'est-à-dire ne s'applique qu'à ce que P. Marie appelle l'anarthrie, elle soulève aussi un bien gros problème, celui de l'unité ou de la dualité des deux complexes pathologiques inexactement dénommées aphasie de Broca et aphasie de Wernicke. Non seulement nous n'avons, fort heureusement pas, à l'envisager ici, mais encore nous pouvons restreindre la question à nous poser au point suivant: peut-on faire intervenir la déficience de la fonction de découpage et d'opposition dans l'interprétation des phénomènes négatifs observés (ce qu'on appelle classiquement par exemple la surdité verbale), car, ne l'oublions pas, durant tout ce travail, ce ne sont que les phénomènes négatifs que nous avons en vue? Bien entendu, nous admettons avec M. P. Marie (1906) que la surdité verbale pure est une conception théorique sans existence

clinique; nous n'avons en vue maintenant que le complexe de phénomènes ainsi désignés classiquement.

Ici, nous ne pouvons mieux faire que de nous reporter à la fine analyse que M. Bergson a donnée dans Matière et Mémoire de l'audition du langage articulé. Loin d'être un acte purement réceptif il entre dans la catégorie des phénomènes que M. Sherrington appelle aujourd'hui les phénomènes anticipateurs, caractéristiques des récepteurs à distance (distance-receptors). Lorsque nous écoutons parler quelqu'un, nous scandons la parole entendue, non pas en suivant parallèlement l'articulation de chaque mot, mais seulement les contours saillants de la phrase. C'est le schéma moteur de M. Bergson, qui, ainsi qu'il l'a remarqué, est accompagné d'un certain travail intellectuel rudimentaire. Nous dirons en passant que nous croyons à l'exactitude de cette vue, non pas pour des raisons d'ordre théorique, mais parce que, ayant eu à nous occuper des hallucinations auditives présentées par les aliénés, nous avons pu nous rendre compte que chez les malades qui "disent entendre des voix,” les mouvements des lèvres et du larynx ne font jamais défaut.

Ce serait le lieu de rappeler également ici qu'on a observé des hallucinations auditives chez des sujets aphasiques, dont la caractéristique phonétique était celle des troubles aphasiques eux-mêmes (A. Pick). Il y a d'ailleurs ici un phénomène qui, au point de vue physiologique, intéresse probablement l'organisme entier du sujet et constitue une partie de ce que l'on a appelé: attitude, situation (A. Pick) ou adaptation.

Du point de vue psychologique, il s'agit d'un phénomène incontestablement intellectuel. Comme l'a bien montré M. Bergson, si nous ne percevons que des fragments de ce que nous entendons ou de ce que nous lisons, c'est par le sens que nous entreprenons la reconstitution des formes et des sons. Demandons-nous seulement ce qu'il faut entendre par le mot sens que nous avons prononcé dans la phrase précédente? Il s'agit des relations abstraites que "nous matérialisons imaginativement en mots hypothétiques qui essaient de se poser sur ce que nous voyons et entendons." C'est là l'essentiel du schéma dynamique de M. Bergson, c'est ce que Bühler, postérieurement à cet auteur, a appelé la construction anticipatrice (die Vorkonstruktion). Hughlings Jackson, bien antérieurement, avait parlé dans le même sens de la forme propositionnelle,' précédant l'apparition des mots dans la conscience.

Pour revenir à la pathologie, nous croyons que ces notions permettent d'interpréter ce que les classiques appelaient la surdité verbale, dans les cas où elle se présente, autrement que par la perte hypothétique des images auditives; mais ce n'est pas ce point, que nous considérons comme

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