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puisse le suivre. C'est pour cela qu'il est indifférent aux Italiens de prononcer amore ou amor, equale ou equal, avranno ou avran, avec une syllabe de moins ; et c'est pourquoi les Français, en formant une nouvelle langue des débris de la latine, et en secondant le génie et la vivacité nationale, ont rejeté tout ce qu'il y avait de superflu dans les mots, et en ont limité et fixé l'étendue à l'accent qui les détermine: pour en faire disparaître la monotonie, ils ont assigné à quelques mots un e muet qui n'affaiblit guère l'énergie de la diction: et ils se sont rendus propriétaires d'une langue unique dans son genre, chérie et admirée de tous les savans et de tous les peuples.

La différence qu'on remarque entre les deux langues italienne et française, quant à la prononciation des dernières syllabes après l'accent des mots, peut donc être appelée, à bon droit, accidentelle, parce qu'elle ne porte aucune atteinte au fond et à l'essence de ces deux langues comparées. En effet, pourrait-on dire qu'il n'y a pas de ressemblance entre les mots italiens et français cités cidessus au § 894, et les mots parola, parole, annale, annal, fatale, fatal, triviale, trivial, male, mal, amante, amant, profonda, profonde, appendice, appendice, compagnia, compagnie, carriera, carrière, originale, originale, partire, partir, sentire, sentir, utile, facile, barbaro, utile, facile, barbare, etc.? Cette syllabe qu'une grande partie des Italiens retranche aussi, en se rapprochant des mots français, une voyelle finale, un accent déplacé, seraient-ils suffisans pour effacer, en théorie, une ressem blance que tout le monde voit et sent en pratique?

§ 901. Je craindrais d'abuser de la patience de mes lecteurs, si j'allais rapporter ici tous les mots français qui sont écrits avec les mêmes caractères qu'en italien, qui ont une même prononciation, soit ceux qui proviennent également de la langue latine, soit ceux que les

Français ont empruntés des Italiens, ou ceux que les Italiens, par un commun aveu, ont largement pris des Français. (Voy. la note pag. 8, et la note à la pag. 51 de mon Précis historique, jusqu'à la pag. 42.) Les Dictionnaires de l'une et de l'autre langue en sont remplis, et il serait imprudent de m'engager à prouver tout ce que les connaisseurs de ces deux idiômes savent et ont appris dès le premier instant qu'ils en ont su les élémens (1). Que dirai-je enfin des racines des mots ? Il n'y en a que peu dans lesquelles on ne trouve des traces évidentes de ressemblance (2).

(1) « Quoiqu'on dise (ce sont les paroles de Veneroni dans sa Grammaire, » édit. de Lyon) que l'italien est un latin corrompu, il n'y a cependant point » de langue avec laquelle il ait tant de conformité qu'avec la française. » Un très-grand nombre de mots italiens ne diffère des français que par » un léger changement dans la terminaison. » Par cette idée généralement reconnue comme vraie, j'ai donné dans ma Grammaire italienne à l'usage des Français, quelques règles par lesquelles on apprend en peu de tems et avec facilité, un grand nombre de mots italiens, sans avoir étudié les élémens de la grammaire; et cela, par le moyen de quelque léger changement à la fin des mots. Par exemple, les mots français terminés en er deviendront italiens en changeant er en are, aimer, amare, singulier, singolare, particulier, particolare de même ceux en et changés en etto; aigret, agretto, billet, biglietto, bosquet, boschetto, parfait, perfetto, ballet, balletto: la finale aire fait ário, contraire, contrario, etc., etc. Voy. ma Grammaire italienne, lect. v.

:

(2) Il y a cependant quelques mots français dont la racine diffère des mots italiens, et qui sont les signes des mêmes choses: c'est que la langue fran-` çaise actuelle est composée non-seulement des débris de la langue latine, mais aussi de quelques restes de la langue des anciens Gaulois, qui fut mêlée d'abord avec l'hébreu, après avec le grec, puis avec l'allemand, ensuite avec le latin, enfin avec celle des Francs, d'où dérive le nom de Français. Par ces différens mélanges, il n'y a rien d'extraordinaire que la langue française, et l'italienne qui a subi aussi différens mélanges, aient des mots dont la racine ne soit pas la même entre elles et la latine. De là dérive aussi quelque différence dans les phrases. Les phrases grecques et les françaises sont fort semblables, et une infinité de mots en dérive très-sensiblement, comme l'ont remarqué Henry Etienne en son Traité de la conformité de ces deux langues, Tripault de Bardis, Bouillus, Péronius et Picard en su Celtopédie,

§ 902. Au reste, en proposant la ressemblance des deux langues comparées, je n'entends pas en prouver l'identité. La langue italienne et la française dont nous avons prouvé avec évidence l'analogie et le rapprochement, ont sans doute, chacune de leur côté, quelque chose à elles-mêmes, qui leur donne des caractères par lesquels l'une n'est pas l'autre. Nous voyons la même différence dans tous les dialectes d'Italie, dont l'un diffère sensiblement de l'autre par une infinité de mots, quoique tous soient de la même langue qui est l'italienne. Il suffit d'avoir démontré ces ressemblances et ces rapprochemens, d'où nous pourrons conclure, contre les paradoxes de J.-J. Rousseau, et nous confirmerons par des faits que, si l'une se prête aisément à la musique, l'autre doit nécessairement s'y prêter aussi.

ARTICLE IV.

DE L'ACCENT DES DEUX LANGUES ITALIENNE ET FRANÇAISE.

$ 903. On parle ici de l'accent grammatical ou tonique (tom. 1, part. 1, §3), de cet accent qui, tantôt grave, tantôt aigu (§8), répand l'harmonie dans la versification des langues modernes (§ 131 et suiv.), de cet accent qui, naturellement propre à toutes les langues (§32), est l'ame de la parole (56), de cet accent qu'on a pu avoir l'audace de refuser à la langue française, et que j'ai rendu évident dans chaque mot de cette langue (§ 28) (1), de cet accent enfin

(1) Il est fâcheux et même honteux d'être obligé de revenir à quelque nouvelle preuve de l'existence de l'accent tonique dans les mots français, après qu'on a prouvé que la privation de cet accent dans les langues est absolument

que

que des personnes moins opiniàtres ont trouvé faible et peu marqué dans cette même langue, et qui pourtant, par les raisons que j'ai indiquées (§ 33), devrait être physiquement plus fort, et plus marqué que celui de la langue italienne.

S904. (1) Que la langue française ait un accent plus énergique et plus marqué que l'italienne, ce n'est pas une question intéressante pour l'objet actuel; il suffit seulement que l'une et l'autre possèdent un accent de la même nature, pour établir de plus en plus entr'elles le rapprochement et la ressemblance proposée. Mais si l'on veut décider du plus ou moins de mélodie des langues, il paraît, à ce que dit J.-J. Rousseau, que le plus ou le moins d'accert en marque la différence : C'est l'accent des langues qui détermine la mélodie de chaque nation: c'est l'accent qui fait qu'on parle en chantant, et qu'on parle avec plus ou moins d'énergie selon que la langue en a plus ou moins. Celle dont l'accent est plus marqué doit donner une mélodie plus vive et plus passionnée; celle qui n'a que peu ou point d'accent, ne peut avoir qu'une mélodie languissante et froide, sans caractère et sans expression. Ce passage de Rousseau sera examiné dans le chapitre IV, § 1033, et 1035, jusqu'au § 1184, où l'on verra en deux appendices particuliers, de quel accent parle l'auteur cité qui s'écarte du vrai point de la question,

5905. Puisque tout ce qui appartient à cet accent a été abondamment traité dans la première, dans la seconde et la troisième partie de cet Ouvrage cet article aurait impossible; et que la nature l'a donné même à la voix des animaux; et, j'ose le dire, elle n'a pas pu le leur refuser.

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M. Angeloni, dans son ouvrage sur Guido d'Arezzo, est le seul Italien, à ce que je sache, qui, à la note de la page 155, en parlant de la langue française, veut faire mine de lui refuser l'accent tonique.

Ce

que M. Angeloni dit, sans le prouver, dans la persuasion peut-être que

été superflu, si d'ailleurs je ne voulais pas en relever une particularité qui confirme la ressemblance entre ces deux langues; c'est que l'une et l'autre ont ordinairement l'accent tonique sur la même syllabe de chaque mot :

son autorité doit suffire, m'a été prouvé depuis peu par un savant français. Voici, me disait-il, de charmans mots italiens, ténero, bárbaro, perfido, giúbilo: ce sont des mots sdruccioli ou dactyles, qui ont l'accent sur l'antépénultième. Vous ne trouverez pas un seul mot français qui en ait un semblable: donc, ajouta t-il, la langue française n'a pas d'accent.— Voilà une conclusion inconséquente, lui répondis-je, et bien moins heureuse que l'assertion gratuite de M. Angeloni. J'ai répété mille fois dans la première partie de cet Ouvrage, que la langue française n'a, en général, et ne peut avoir des mots sdruccioli. Cet avantage de dactyliser est réservé à l'italienne, et même à l'anglaise. Mais je vous ai démontré que les mots français sont ou trochées, ou ïambes, ou anapestes, ayant l'accent sur la dernière ou sur l'avant-dernière syllabe.

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Vous avez beau dire, reprit le savant français; vos raisonnemens ne pourront jamais faire sentir à mon oreille ce que je ne sens pas. — Eh bien, lui répondis-je, je m'engage à vous faire sentir ce que vous croyez ne point sentir. Le mot, par exemple, sentiment est, à votre avis, sans accent, car vous croyez (ce qui est impossible) que votre voix n'appuie sur aucune de ces trois syllabes. Je veux cependant prononcer ce mot en lui donnant un ac cent à la manière anglaise, sén-timent. Cette manière de prononcer sied-elle bien à la langue française ? Non. - Et pourquoi ? Parce que vous avez placé un accent sur la syllabe sén. Mais si je prononçais sentí-ment comme on prononce en français le mot centime, l'aurais-je prononcé selon le vrai goût français ? Non, Monsieur. Pourquoi ? C'est que vous avez mis un accent sur la syllabe ti. - Je vais maintenant prononcer sentimént, en appuyant sur mént: ai-je prononcé comme en français ? Oui, sans doute. Vous m'accordez donc que la syllabe ment a un appui de la voix, un accent, ce même accent que je viens de lui donner? - Point du tout je ne sens pas cet appui. Monsieur, vous n'êtes ni raisonnable, ni de bonne foi. Votre oreille a bien senti l'instant où j'ai privé d'accent cette syllabe; elle doit donc sentir, et elle sent en effet, malgré vous, le moment où je vais le remettre à sa place naturelle. Je ne dirai pas que vous avez l'oreille peu sensible; car l'appui de cet accent est si vibrant et si clair, qu'il ne faut pas une oreille très fine pour le saisir. Lorsque vous prononcez, par exemple, les mots agréable nouvelle, vous sentez, de même que tous les savans français (Voy. § 61 et ses notes, tom. 1), qu'on appuie trèspeu sur a du mot agréable, et que tout l'appui de la voix se porte sur la syllabe vé du mot nouvelle vous sentez, au contraire, que dans les mots nouvelle agréable, on transporte l'appui de la syllabe vé sur a, qui en

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