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voilà tous les ressorts de l'ouvrage. Mais ce que l'on doit le plus regretter dans le roman d'Héliodore, c'est qu'il ne fait point connaître un état de la société, et qu'à l'exception de cette lueur d'humanité chrétienne que l'on y voit percer, il n'offre que des mœurs fictives, et ne représente ni un siècle ni un peuple. On ne pourrait indiquer, d'après l'ouvrage, à quelle époque les personnages sont placés. Sous ce rapport, ce roman ressemble beaucoup à nos prolixes romans du XVIIe siècle, où l'on faisait consister l'imagination à ne rien peindre suivant la nature. Ainsi Héliodore promène longtemps ses personnages dans l'Égypte; mais cette Égypte n'est ni l'ancienne Égypte, ni l'Égypte des Perses, ni celle des Ptolémées, ni celle des Romains. Il met sous nos yeux les fêtes et les assemblées publiques d'Athènes; mais il n'emploie que des traits vagues qui ne montrent ni Athènes libre ni Athènes conquise. Le roi d'Éthiopie, qui figure dans son ouvrage, ressemble tout à fait à ces rois de Perse ou d'Arménie, dont mademoiselle Scudéri faisait grand usage, et qui n'étaient d'aucun temps ni d'aucun pays. Cette manière d'écrire est une grande perte pour la curiosité du lecteur. De quel prix seraient des ouvrages antiques, où les aventures fictives s'uniraient à la peinture vraie des mœurs et de l'état social! Mais la littérature sophistique du Bas-Empire ne s'est point élevée si haut. Héliodore n'est point un Walter Scott; son livre doit paraître toutefois un monument précieux, je dirai même res

pectable, comme étant la source la plus ancienne de
cet art du roman, qui a tant amusé notre Europe moderne.

On ne saurait le lire que dans l'original ou dans la
traduction d'Amyot, dont le style un peu diffus est tou-
jours naturel, ingénieux et élégant à sa manière.

Les Amours de Leucippe et de Clitophon viennent
après ceux de Théagène et de Chariclée, et ne les valent
pas sous un rapport. Je ne sais à quoi pensait le bon
empereur Léon le Philosophe de faire un petit madrigal
en vers grecs à la louange de ce livre, pour en recom-
mander la lecture aux amis des bonnes mœurs. Il est
bien vrai que l'héroïne Leucippe, captive et sans se-
cours, conserve une irréprochable pureté et une par-
faite constance; mais les peintures les plus libres et les
traces les plus choquantes de l'infamie des mœurs an-
tiques se rencontrent dans ce roman. L'auteur, Achille
Tatius, finit, au rapport de Suidas, par embrasser le
christianisme, et devint évêque. Le savant Huet, qui a
jugé son ouvrage avec une grande mais juste sévérité,
paraît douter de cette circonstance; et l'on doit croire
au moins qu'il y eut un long intervalle entre le roman
et la promotion à l'épiscopat.

Il faut avouer au reste qu'indépendamment de l'extrême
liberté de quelques images, le livre entier est écrit sous
une influence toute païenne, et dans une allusion con-
tinuelle aux fables voluptueuses de la mythologie. Sous
ce point de vue, il est infiniment curieux, ainsi que plu-
sieurs autres de ces romans grecs; il marque bien à

quel point l'ancien système religieux avait préoccupé les esprits et les sens, et quelle force il conservait encore au milieu du Ive siècle. Il semblait, pour ainsi dire, que ce système fût lié à tout mouvement de l'imagination, et que l'esprit ne pût se jouer sans retomber dans les liens de ces fables trop flatteuses. C'est un des traits les plus frappants de l'histoire si intéressante de l'esprit humain, pendant les premiers siècles de la régénération chrétienne.

Au reste, le roman d'Achille Tatius, épuré comme il doit l'être, paraîtra l'un des plus agréables ouvrages de la collection romanesque des Grecs. L'auteur est sophiste; et pouvait-il ne pas l'être au temps où il écrivit? Mais les aventures qu'il raconte offrent une variété assez piquante; la succession des événements est rapide; le merveilleux, naturel; le style, un peu affecté, n'est pas sans éclat. Photius, du reste assez rigoureux pour cet ouvrage, en loue beaucoup l'élégance et l'harmonie; il observe que les périodes de l'auteur sont précises, claires, agréables à l'oreille, et qu'enfin il fait surtout un fréquent et habile usage d'une figure appelée l'épitrope. Ce dernier mérite n'intéressera guère la foule des lecteurs; mais, ce qui vaut mieux peut-être pour eux, le livre est court, et il amuse.

Immédiatement après cet ouvrage, Huet a placé parmi les romans grecs et a longuement analysé un récit des Aventures de Théagène et de Charide, qui porte pour titre, Du vrai et du parfait amour, et que le docte

évêque croit pouvoir attribuer à l'ancien Athénagoras, philosophe d'Athènes, et l'un des premiers défenseurs du christianisme. Il est certain que ce roman n'est pas sans mérite, et qu'il respire surtout une sorte d'élévation et de spiritualisme. S'il venait de l'antiquité, ce serait un monument curieux. Mais le manuscrit original ne s'est jamais trouvé, et l'on ne doute plus aujourd'hui que l'ouvrage entier ne soit une fiction du prétendu traducteur. C'est même le premier modèle de toutes ces suppositions de romans traduits du grec, genre de travestissement facile et souvent insipide, que Montesquieu n'a pas dédaigné d'emprunter dans le Temple de Gnide.

Les Amours d'Abrocome et d'Anthia, dont Huet ne parle pas, sont bien autrement respectables; car ils ont une origine certaine et vraiment grecque. L'auteur, Xénophon d'Éphèse, écrit avec art; son livre ne présente, suivant le défaut général de tous ces romans, que des mœurs vagues et fictives et des aventures communes; mais il y a de la grâce dans quelques détails. Le romancier n'a pas craint de commencer par un début qui ressemble à un dénoûment. Dès les premières pages le bel Abrocome et la belle Anthia, l'ornement de la ville d'Éphèse, sont heureux amants et heureux époux ; mais il arrive bientôt de cruelles séparations et de longues traverses, qui ne servent qu'à développer davantage la fidélité d'Abrocome et la vertu d'Anthia, jusqu'au moment d'une paisible réunion. Ce petit livre, à tout prendre,

est d'une lecture agréable, et, pour le fond des aventures, aussi neuf que beaucoup de romans modernes.

Entre ces différents romanciers et ceux qui les suivent encore, la série chronologique se marque, pour ainsi dire, par une décadence progressive. A chacun de ces ouvrages, cette admirable littérature grecque, dont ils sont le faible et dernier produit, semble baisser d'un degré. Comme les auteurs ne prennent rien dans la nature, comme ils imitent ce qui les a précédés, et n'ont pas l'air de sentir le temps où ils vivent, ils deviennent successivement des copistes de copistes. Toute couleur disparaît; les traits mêmes s'effacent ; et les plus récents de ces ouvrages semblent quelque épreuve de gravure sortie la dernière d'une planche usée. C'est l'idée qui se présente involontairement, lorsque l'on passe d'Abrocome et d'Anthia aux Amours de Chéréas et de Callirhoé, ouvrage que le docte Larcher a traduit, mais qu'il n'a pu rendre amusant.

Mais à quelle époque de cette décadence, sur quel point de cette ligne qui aboutit au néant,' faut-il donc placer la jolie pastorale de Longus, cette peinture de Daphnis et Chloé tant célébrée pour la naïveté? Les savants n'en disent mot. On ne sait rien sur Longus, ni sa vie, ni son siècle, ni même s'il a existé; car le nom latin de Longus est assez singulièrement placé en tête d'un ouvrage écrit en grec. Le style de cet ouvrage, quel que soit du reste l'auteur, ne peut donner que de faibles probabilités sur le temps où il a été écrit. Ce style, hâtons

ÉTUDES DE LITT.

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