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ESSAI

SUR

LES ROMANS GRECS.

Dans le siècle le plus grave de notre littérature, un pieux évêque n'a pas dédaigné de faire une dissertation sur l'origine des romans; il caractérisait cependant cette sorte d'ouvrage par une définition dont sa sévérité aurait pu s'inquiéter, s'il n'avait pas eu trop de véritable vertu pour s'aviser d'un tel scrupule. « Ce que l'on appelle « proprement romans, dit-il, sont des fictions d'aven«<tures amoureuses, écrites en prose avec art pour le

"

plaisir et l'instruction du lecteur. » Cette définition est sans doute fort incomplète, et bien éloignée de comprendre tous les caractères d'un genre de composition que le besoin de lire et la paresse d'esprit ont si prodigieusement diversifié dans notre Europe moderne. Ni Don Quichotte, ni Gil Blas, ni les Puritains d'Écosse, ne peuvent être ramenés à ce cadre étroit; mais le savant évêque ne prévoyait pas la perfectibilité indéfinie du

roman. Il avait vécu dans la cour galante et polie de Louis XIV; il était contemporain et admirateur de mademoiselle de Scudéri, dont les romans sont bâtis, comme chacun sait, sur un échafaudage de sentiments amoureux, auxquels n'échappent pas même Brutus et Scævola. De plus, sa dissertation sur les romans devait servir de préface à la Zaïde de madame de La Fayette, c'est-à-dire à un ouvrage qui n'est nourri que de la plus pure essence de tous les sentiments tendres et délicats. Son érudition même ne lui présentait dans les romans grecs parvenus jusqu'à nous que des modèles assez conformes à cette définition. Je ne parle pas seulement de Daphnis et Chloé, que le français d'Amyot avait rendu populaire; mais Théagène et Chariclée, fort imité par nos prolixes romanciers du XVIIe siècle, Leucippè et Clitophon, etc., ne sont, en effet, que des fictions d'aventures amoureuses écrites en prose avec art, quoique ce ne soit pas toujours pour le plaisir ou l'instruction du lecteur.

Il faut l'avouer d'ailleurs, ce que le savant évêque désignait comme la source unique des romans en est toujours la source la plus féconde et la plus heureuse. On ne peut inventer rien de mieux que l'amour; et de nos jours l'admirable Walter Scott, dans ses créations si éclatantes et si nombreuses, dans cette vie nouvelle qu'il a donnée au monde romanesque, en le rendant quelquefois plus vrai que l'histoire, emprunte encore ses plus touchantes inspirations à la peinture de cette

passion, qui a si longtemps occupé les crayons des romanciers et des poëtes.

Le docte Huet, en attribuant l'origine des romans à l'imagination des peuples asiatiques, suppose qu'ils furent importés assez tard dans la Grèce, et qu'ils y passèrent comme un fruit de la conquête de l'Orient. Les ouvrages qui nous restent sous le titre de romans grecs sembleraient justifier cette opinion, puisqu'ils appartiennent tous à des âges postérieurs à celui d'Alexandre, et sont nés dans la décadence littéraire de la Grèce. Mais il ne faut pas tirer de cette première apparence une induction trop exclusive. Peut-on supposer en effet qu'aucun genre d'imagination, qu'aucune forme de l'esprit ait été étrangère aux beaux jours de cette civilisation grecque si inventive et si raffinée? Non, sans doute. Mais la fiction romanesque se produisit alors sous des formes plus sévères et plus nobles, et se trouva bornée dans ses applications par l'état social des peuples et par la supériorité même de leur instinct poétique.

La Cyropédie de Xénophon est un véritable roman philosophique, comme le remarque Cicéron. Les faits y sont supposés ou distribués pour faire ressortir une instruction morale; c'est le Télémaque réduit aux formes de l'histoire, et sans intervention mythologique. La belle fiction de l'Atlantide, dans Platon, présente un caractère à peu près semblable, et n'offre qu'un merveilleux puisé dans la tradition et les récits fabuleux des voyageurs. Mais on concevra sans peine que cette invention

romanesque, qui ne fut pas négligée par deux philosophes éloquents, dans les plus beaux siècles d'Athènes, n'ait pas dû s'étendre alors à beaucoup d'autres sujets. Tout l'empire de la fiction était, pour ainsi dire, envahi par le polythéisme ingénieux des Grecs. Cette croyance devait suffire aux imaginations les plus vives; elle satisfaisait ce besoin de fables et de merveilleux si naturel à l'homme. Chaque fête, en rappelant les aventures des dieux, occupait les âmes curieuses par des récits qui ne laissaient point de place à d'autres étonnements. Le théâtre, dont les solennités n'étaient point affaiblies par l'habitude, frappait les esprits par ce mélange d'intervention divine et d'histoire héroïque, qui faisait son merveilleux et sa terreur. De plus, chez une nation si heureusement née pour les arts, la fiction appelait naturellement les vers; et l'on ne serait point descendu de ces belles fables, si bien chantées par les poëtes, à des récits en prose qui n'auraient renfermé que des mensonges vulgaires. Remarquons d'ailleurs combien tout était public et occupé dans la vie de ces petites et glorieuses nations de la Grèce; il n'y avait pour personne de distraction privée ni de solitude. L'État se chargeait, pour ainsi dire, d'amuser les citoyens. Toute la Grèce courait aux jeux olympiques pour entendre Hérodote lire son histoire. A Athènes, les fonds du théâtre étaient faits avant ceux de la flotte; et les affaires de la république, après avoir occupé les assemblées où tout homme libre prenait part, étaient régulièrement mises en comédie par

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